L’Envoûté
W. Somerset Maugham
Traduction d’E. R. Blanchet, revue par l’éditeur avec la collaboration d’Anne-Sylvie Homassel
Charles Strickland, agent de change respectable et prospère du Londres du début de siècle dernier, quitte brutalement sa famille et son pays pour s’installer à Paris. Sa femme envoie le narrateur — un écrivain à succès — sur le continent pour tenter de ramener l’époux déserteur à la raison. C’est un homme dur et égoïste que le jeune auteur rencontre alors, mais un homme habité par une obsession jusque-là non avouée — la peinture —, qui le mènera jusqu’en Polynésie. Cette ode de W. Somerset Maugham aux puissantes forces du génie créatif est inspirée de la vie de Paul Gauguin. Avec ironie, finesse et une fascination non dissimulée, l’écrivain britannique dénonce dans L’Envoûté, publié à l’origine en français sous le titre La Lune et soixante-quinze centimes, la bienséance et le poids de la norme, et s’interroge sur l’engagement qu’exige le destin d’artiste.
Né à l’ambassade britannique à Paris en 1874, dans un milieu intellectuel et artistique, W. Somerset Maugham a 14 ans lorsqu’il est recueilli par un oncle en Angleterre après la mort de ses deux parents. Il y entreprend des études de médecine, tout en se mettant à écrire. Son premier roman, Liza of Lambeth, remporte un succès immédiat, qui lui permet d’abonner sa carrière médicale. Pendant les soixante-cinq années à venir, il vivra de son écriture – une vingtaine de romans, près d’une trentaine de pièces de théâtre, des centaines d’articles, une quinzaine d’essais et de récits, des centaines de nouvelles – qui lui valurent d’être surnommé le « Maupassant anglais ». Il devint ainsi l’auteur le mieux payé des années 1930. Globe-trotter infatigable, il sillonna l’Europe, les Antilles, l’Asie et l’Amérique du Sud avant de s’installer à Saint-Jean-Cap-Ferrat, où il mourut en 1965.
François Kasbi, Valeurs actuelles
C’est toujours un délice de se retrouver dans un roman de William Somerset Maugham : ici, l’Envoûté, publié en 1919. On reconnaît assez vite la manière, ce romanesque d’une autre époque — daté, au bon sens du terme, c’est-à-dire situé précisément dans un temps révolu — un peu suranné. On imagine presque la préface qu’aurait donnée Edmond Jaloux : il en fit d’autres.
Charles Strickland, 40 ans, est un agent de change respectable et prospère dans le Londres du début du vingtième siècle, qui vit entouré de sa femme et de ses enfants et qui, du jour au lendemain, sans qu’aucun signe ne l’ait laissé envisager, les quitte pour s’exiler à Paris et se consacrer à sa seule passion, ignorée de tous : la peinture. Il ne donnera plus de nouvelles. Sa famille en aura, de temps à autre, par le biais du narrateur, écrivain à succès envoyé par la femme de Strickland pour tenter de comprendre : il n’y a, de fait, rien à comprendre. Le temps passe, l’urgence est manifeste — et Strickland est un artiste.
Question du narrateur à Strickland : « Avez-vous été amoureux depuis votre arrivée à Paris ? » Réponse : « Je n’ai pas de temps à perdre à de pareilles bêtises. La vie n’est pas assez longue pour contenir à la fois l’amour et l’art. » Écho d’un mot fameux de Rilke, sur le même sujet : « Tant il est vrai qu’il y a une vieille incompatibilité entre la vie et l’œuvre. »
À un moment de son séjour parisien, Strickland croisera quand même une femme, Blanche, qui ne résistera pas à l’attrait mystérieux — de “l’envoûté” sans doute — que celui-ci exerce. Le narrateur a ce mot : « L’amour n’est jamais exempt de sentimentalité. Or de tous les hommes que j’ai connus, Strickland était le moins enclin à cette infirmité. Jamais il n’eût supporté d’être possédé par l’amour, de se plier à un joug. Dût-il en être brisé et anéanti, il arracherait de son cœur tout ce qui se dresserait entre lui et cette aspiration mystérieuse qui le poussait sans merci vers un destin inconnu. Si j’ai réussi à rendre l’impression complexe que me produisait Strickland, on comprendra qu’il m’ait paru à la fois trop grand et trop petit pour l’amour. » L’intéressant, ici, est peut-être le “trop petit”…
Supposé en partie inspiré de la vie de Gauguin, l’Envoûté est un très beau “roman romanesque”, où l’amour, l’art et la vie sont constamment présents — et en compétition. Pour Gauguin, on sait que l’art a, finalement, gagné. Pour Maugham itou. Pour Strickland, on vous laisse découvrir. Plongez. Vous serez conquis. Ou… envoûté.
ISBN : 9782373852608
Collection : La Grande Collection
Domaine : Littérature étrangère, Royaume-Unis
Période : XXe siècle
Pages : 320
Parution : 12 mai 2022