Rayés de la carte
Gideon Defoe
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Thierry Beauchamp
Rayés de la carte, ou la remarquable (et parfois ridicule) histoire de pays aujourd’hui disparus rassemble l’histoire de pays qui n’existent plus officiellement, et dont la biographie inclut une ribambelle de filous, de rêveurs, d’arnaqueurs, de dingues… Certaines de ces nations ont perduré pendant des siècles, d’autres pendant un jour à peine – quand l’une d’elles n’a existé que le temps d’un accouchement.
En nous racontant le destin de l’île de Pâques, de Libertalia, de la République de Formose ou de l’État libre du Goulot, Gideon Defoe nous invite à démystifier l’histoire des nations et à tourner en dérision les idéologues obsédés par le culte du drapeau et le droit du sang – le tout avec humour et érudition.
Né en 1975, Gideon Defoe a suivi des études d’anthropologie et d’archéologie à l’université d’Oxford. Il a acquis une certaine célébrité dans le monde anglophone grâce à sa série Les Pirates ! (Éditions Le Dilettante), cinq romans comiques mettant en scène une bande de forbans peu doués pour le métier. Le succès de la série a donné lieu à une adaptation cinématographique : Les pirates ! Bons à rien et mauvais en tout (2012), réalisé par Peter Lord (Wallace et Gromit et Chicken Run). Gideon Defoe a aussi publié Le Sexe tout bête (Éditions Wombat), livre consacré à la vie sexuelle des animaux, fort bien documenté, et particulièrement drôle et édifiant.
Lire Magazine • Bernard Quiriny
Quel est le point commun entre l’État libre du Carnaro, le royaume des Sedangs et le Moresnet neutre ? Tous ces pays ont existé avant d’être rayés de la carte. Le Britannique collectionne ces États éphémères dans un essai érudit et loufoque.
Parmi les meilleures répliques du meilleur film de Dany Boon, La Maison du bonheur, il y a celle de Zinedine Soualem, alias le plombier Mouloud Mami. L’un des robinets étant cassé, il explique à Dany Boon qu’il
faut commander la pièce… en Allemagne de l’Est. Stupeur quand on lui apprend la vérité. « Ça n’existe plus, l’Allemagne de L’Est ? Alors là… Quand c’est la société qui fait faillite, on peut toujours s’arranger avec les restes de stock, mais si c’est carrément l’Allemagne de l’Est qui n’existe plus… » Eh oui ! Les civilisations sont mortelles, disait Valéry, et les pays aussi. La carte du monde a beaucoup changé au fil des siècles, au point qu’on pourrait faire de l’archéologie de pays disparus. C’est à ce jeu que s’est livré l’écrivain Gideon Defoe, bien connu pour sa série d’aventures Les Pirates ! et pour son livre sur les comportements sexuels des animaux, Le Sexe tout bête, recommandé en son temps dans nos colonnes. Vague descendant - d’après certaines rumeurs non vérifiées - de l’auteur de Robinson Crusoé, Defoe n’est pas complètement illégitime à se lancer dans un tel travail : avant d’embrasser la carrière de comique, il a suivi des études d’anthropologie et d’archéologie à Oxford. Il en a gardé le goût de vérifier les faits et de citer ses sources, comme en témoigne la bibliographie. Mais que ceux à qui les travaux universitaires donnent de l’urticaire se rassurent, son livre tient du stand-up plus que de la soutenance de thèse.
FACE AUX ALÉAS DE L’HISTOIRE
Beaucoup de pays disparus qu’il recense dans Rayés de la carte sont célèbres, de la RDA à la République de Venise en passant par la Yougoslavie, la principauté d’Elbe – offerte en 1814 à Napoléon, dans l’espoir qu’il s’y tiendrait tranquille – ou la République italienne de Salo cet « État-fantoche qui aurait été ridicule s’il n’avait pas été aussi sinistre ». Les pays disparus les plus intéressants de son catalogue sont cependant les moins connus, particulièrement les nations éphémères issues d’initiatives individuelles plus ou moins loufoques. Le royaume de Sarawak, par exemple, dans l’actuelle Malaisie, fut fondé en 1841 par un aventurier anglais, James Brooke ; il demeura dans les mains de ses descendants jusqu’à la Seconde Guerre, époque où il retomba dans l’escarcelle de la Grande-Bretagne ! Plus récemment, des libertariens ont jeté leur dévolu sur une île des Nouvelles-Hébrides pour y créer l’État idéal, sans fisc ni législation ; ce fut un échec, consommé au bout de quelques mois. Les Français ne sont pas en reste en matière de créations d’États, comme en témoigne en 1860 la fondation par Orélie-Antoine de Tounens du royaume d’Araucanie et de Patagonie, une initiative romantique vite interrompue par le voisin chilien. D’autres pays sans lendemain sont nés de situations géopolitiques bizarres, comme l’État libre du Goulot, créé en 1918 dans un trou entre les zones d’occupation française et américaine de l’Allemagne vaincue, ou la Ruthénie, ex-dépendance tchécoslovaque qui, après l’invasion de 1939, connut une indépendance d’environ vingt-quatre heures, avant d’être ravalée par la Hongrie.
Defoe raconte ces histoires improbables en quatre pages chacune, avec une petite carte, des raccourcis, des gags, et des formules bien senties. Ses portraits sont ravageurs, en particulier ceux de personnages historiques antipathiques. D’Annunzio ? « Spécialiste de l’autopromotion, prétendu nécromancien et coureur de jupons aux dents pourries. » Guillaume II ? « Rabat-joie coiffé d’un casque en pointe. » Le nom de Léopold II : « Un ado arrogant et sans charme, qui devint un adulte encore plus repoussant. » Ses considérations historico-politiques péremptoires, pleines de sagesse et de rusticité, valent aussi d’être notées. « Si votre plan implique de compter sur les Anglais à un moment ou à un autre, alors c’est un mauvais plan. On n’insistera jamais assez là-dessus. » Ou bien : « Même quand ils sont coincés au milieu de l’océan, les humains trouvent toujours le moyen de se disputer avec environ 50 % de leurs voisins sur un sujet inepte. » Autant dire qu’on ne s’ennuie pas un instant dans ce livre mené tambour battant, débonnaire et cocasse, qui inspirera au lecteur autant de sourires que de ruminations mélancoliques sur la fragilité des empires, l’orgueil des hommes et les soubresauts de l’Histoire. Ainsi que l’envie, peut-être, de créer son propre pays. Qui n’a jamais rêvé d’être roi, grand-duc ou empereur, fût-ce sur un timbre-poste ?
ISBN : 9782373852998
Collection : La Grande Collection
Domaine : Royaume-Unis
Période : XXIe siècle
Pages : 272
Parution : 7 mai 2024