Le Vice de la lecture
Edith Wharton
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Shaïne Cassim
« Peu de vices sont plus difficiles à éradiquer que ceux qui sont généralement considérés comme des vertus. Le premier d’entre eux est celui de la lecture. »
Dans ce texte paru en 1903 dans une revue littéraire américaine, la romancière Edith Wharton (1862-1937) dénonce l’obligation sociale de la lecture, nuisible à la littérature et fatale à l’écrivain.
Edith Wharton (1862-1937) naît dans le milieu aisé de la haute bourgeoisie new-yorkaise. À partir de 1907, elle effectue de nombreux voyages en France où elle se forge un cercle fidèle d’amis artistes et écrivains, dont André Gide et Jean Cocteau. C’est en 1891 qu’elle fait en Angleterre sa grande rencontre amicale et littéraire en la personne d’Henry James ; ils resteront proches jusqu’à la mort de celui qu’Edith appelle affectueusement « cher maître ». En 1905, « l’ange de la dévastation », ainsi que la nomme James, publie un roman qui rencontre un immense succès : Chez les heureux du monde. Le Temps de l’innocence (1920), lui vaut une prestigieuse récompense jamais encore attribuée à une femme : le prix Pulitzer. Edith Wharton a écrit plus de quarante livres, sans compter les ouvrages sur la décoration et les jardins, les articles, les poèmes et les critiques.
Didier Garcia, Le Matricule des anges
Dans ce texte paru en 1903, la romancière américaine Edith Wharton (1862-1937) dénonce l’une des conséquences des progrès modernes (et à ses yeux non la moindre) : la démocratisation de la lecture. Wharton fait d’emblée le départ entre celui qui lit parce qu’il faut lire (puisque la société de son temps a promu la lecture au rang de vertu), et celui qui lit comme il respire (ne pouvant donc faire autrement). Le premier (le « lecteur mécanique moyen ») est guidé dans ses choix par la seule vox populi, jetant invariablement son dévolu sur les livres dont on parle le plus, s’attardant le plus souvent sur des livres dépourvus de toute valeur littéraire. Le mal ne serait sans doute pas si grand si ce lecteur, par sa pratique, n’encourageait l’écrivain mécanique à persévérer dans sa médiocrité, ne facilitait la carrière des plumitifs et ne favorisait une littérature prémâchée qui n’a plus guère à voir avec la littérature (celle que Wharton défend ici, et que son œuvre a brillamment illustrée — elle fut la première femme à obtenir cette prestigieuse récompense qu’est le prix Pulitzer). Sans compter qu’il a aussi engendré le critique mécanique, lequel se contente de fournir un résumé de l’histoire, sans formuler la moindre analyse critique. C’est un éreintement en règle, une condamnation systématique de ce pur produit de la société moderne qu’est le lecteur se sentant dans l’obligation de lire (l’immense majorité de ceux qui fréquentent les livres selon Wharton, contre de très modestes happy few). On ne peut bien sûr que souscrire à sa thèse, et s’inquiéter avec elle que ceux-là se mêlent, par dessus le marché, de formuler des avis sur la littérature (le vice s’incarnant alors en menace). C’est d’ailleurs sous la plume de Wharton que le beau titre de Valery Larbaud prendrait tout son sens : Ce vice impuni, la lecture. Mais ce lynchage du philistinisme paraît quand même bien sévère.
Olivier Quelier, BSC News
Le texte d’Edith Wharton, Le Vice de la lecture, a paru en 1903 dans la North American Review. La romancière y dénonce l’obligation sociale de la lecture, érigée en vertu, alors que « plus on confère à l’acte du mérite, plus il en devient stérile ».
Wharton est très claire : « se forcer à lire — « lire par volonté » en quelque sorte — n’est pas plus lire que l’érudition n’est la culture. » Un brin condescendante, elle ne blâme pas ceux qu’elle appelle les « lecteurs mécaniques » qu se cantonnent à la « fiction utile » ; en revanche, ces derniers deviennent dangereux quand ils se lancent dans « des relations bien plus épuisantes avec la littérature ». Dussent-ils en souffrir, eux qui ne doutent jamais de leur compétence intellectuelle, les lecteurs mécaniques nuisent avant tout à l’écrivain, qu’ils invitent avec une trop grande facilité au Palais des Platitudes. Parce que la lecture est bien un art, et pas une vertu.
ISBN : 9782916136172
ISBN ebook : 9782373850031
Collection : La Petite Collection
Domaine : Littérature étrangère, États-unis
Période : XIXe siècle
Pages : 48
Parution : 3 mars 2009