J’ai vu la misère, récits d’une Amérique en crise
Martha Gellhorn
préface de H. G. Wells ; avant-propos de Marc Kravetz ; traduit de l’anglais par Denise Geneix
1934 : l’Amérique est plongée depuis cinq ans dans la Grande Dépression. L’administration Roosevelt, qui vient d’accéder au pouvoir, décide d’envoyer dans tout le pays une équipe de seize enquêteurs, composée pour l’essentiel d’écrivains et de journalistes. Charge à eux d’interviewer les habitants afin de compléter les statistiques sur la crise – et d’ajuster ainsi au mieux les actions à mener.
Martha Gellhorn (1908-1998), la plus jeune du groupe, accumule des semaines durant les entretiens et enregistre tout ce qu’elle voit, tout ce qu’on lui raconte. Elle s’inspirera de ces rencontres pour retracer dans J’ai vu la misère le destin d’hommes et de femmes de toutes les générations, confrontés au chômage, au déclassement, à l’intolérable pauvreté. De la vieille dame qui refuse de ne plus croire en un avenir meilleur à la fillette prête à tout pour pouvoir s’acheter des glaces et des patins à roulettes, les portraits dessinés dans cet ouvrage offrent l’un des témoignages les plus puissants sur cette période noire de l’histoire moderne des États-Unis.
J’ai vu la misère appartient au rayon de la fiction, mais son contenu, tout ce qui en fait la chair, relève du reportage. On y découvre le talent de celle qui deviendra l’une des plus illustres correspondantes de guerre du XXe siècle et à propos de laquelle H. G. Wells a écrit : « Je tiens Martha Gellhorn pour un écrivain véritablement remarquable. »
Née en 1908 aux États-Unis, Martha Gellhorn se destine très tôt à l’écriture. En 1936, elle part pour l’Europe, accréditée par le magazine Collier’s pour couvrir la Guerre d’Espagne — où elle retrouve Ernest Hemingway, son futur époux. Elle devient alors au fil des années l’une des plus éminentes reporters de guerre du vingtième siècle : Seconde Guerre mondiale (elle pénètre dans le camp de Dachau peu de jours après sa libération), guerre du Viet Nam, guerre des Six-Jours, intervention américaine au Panamá… Et si à plus de 80 ans, elle se résigne à ne pas couvrir la guerre en Bosnie, elle se rend tout de même au Brésil pour enquêter sur des meurtres d’enfants des rues. Femme entière, d’une grande exigence morale, elle refuse le déclin de la maladie et décide l’année de ses 90 ans de se donner la mort. Depuis 1999, un prestigieux prix de journalisme porte son nom.
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Karen Lajon, Le JDD
Les damnés de la crise
Elle fut la troisième des quatre compagnes d’Ernest Hemingway. Mais elle se paya le luxe de le plaquer. L’appel du large, du reportage. Là, Martha Gellhorn n’a que 24 ans. La correspondante de guerre en devenir, qui vient de passer trois ans en France, rentre au pays. Que connait-elle encore de cette Amérique lacérée par la Grande Dépression ? Si peu. Une occasion se présente. Parcourir sa terre natale pour le gouvernement et raconter le dénuement. J’ai vu la misère est le regard d’une reporter qui s’appuie sur la réalité crue pour en tirer une fiction sublimée.
Franklin Delano Roosvelt dirige l’Amérique. Il a entrepris de mettre en place son fameux New Deal pour redresser le pays. À sa demande, une équipe de 16 enquêteurs part dans les régions les plus dévastées. Martha Gellhorn est affectée à la Nouvelle-Angleterre, aux Caroline du Nord et du Sud et au New Jersey. Les gens ont faim, la mort rôde. Mrs Maddison, qui se tord dans tous les sens. « Je ne suis pas une mendiante », souffle-t-elle à l’aide sociale. Il y aussi Joe, le syndicaliste, Jim, Pete, des hommes sans travail.
Et comment parler de Ruby ? Ruby, 11 ans, atteinte de syphilis. Parce qu’elle est allée dans cette maison où les hommes la touchent. Et lui font mal. En Amérique, en 1934.
Kerenn Elkaïm, Livres Hebdo
Grand reporter, Martha Gellhorn porte un regard profondément humaniste sur la pauvreté, proposant un portrait en creux de l’Amérique en crise.
Curieuse, Martha Gellhorn s’est promis de « voyager partout, de tout voir et de l’écrire à [s]a manière ». Cette reporter d’exception n’a jamais failli à sa philosophie, et se suicidera quand elle perdra la vue. Née aux États-Unis, en 1908, elle largue les amarres pour le Vieux Continent. Elle couvre la guerre d’Espagne avec un compagnon de route passionné, Ernest Hemingway. Ce lien fait d’elle sa troisième épouse, mais redoutablement indépendante, la correspondante ne tarde pas à suivre sa voie en solo. Dachau, la guerre du Vietnam, l’Afrique ou l’Union soviétique lui font entrevoir d’autres réalités.
Mes saisons en enfer (éditions du Sonneur, 2013) captait avec brio l’envers du décor de certaines contrées. Cette fois, les éditions du Sonneur publient le fruit d’un travail réalisé sur sa terre natale, à l’heure où celle-ci sombre dans la crise économique. Dans sa préface, le prix Albert-Londres Marc Kravetz rappelle que Martha Gellhorn fait alors partie d’une mission de terrain, destinée au Président Roosevelt. « Y’a pas de honte à être pauvre », mais quelles sont les répercussions sur le quotidien ?
En cette année 1934, la reporter sillonne la Caroline du Nord. Le choc est rude : la fermeture des usines locales laisse les populations dans un terrible dénuement. « Seigneur, que les mots semblent pauvres. Les hommes sont dans un pétrin monstrueux. » Comment leur donner une voix ? Martha hésite. « Elle ne voulait pas écrire un livre sur la Grande Dépression, mais avec celles et ceux qui la vivaient de l’intérieur », signale M. Kravetz. Cela donne un document incroyablement vivant, jonglant entre fiction et réalité, témoignage universel et nouvelle littéraire. Ces portraits en disent plus long que tous les reportages sur la question. Ils n’ont rien perdu de leur superbe, de leur justesse et de leur actualité.
La vieille Madame Madison manque de tout, sauf de fierté. « Je ne suis pas une mendiante. » Aussi accepte-t-elle un rude programme de réhabilitation. Cette fée est capable de planter des rosiers dans un coin défraîchi, or tout le monde n’a pas son courage. Jim se voyait médecin, il devient néanmoins camionneur. Impossible d’acheter une robe de mariée à sa bien-aimée. Comment rêver quand tout s’étiole ? « Faut qu’on résiste », assène un syndicaliste. Or la misère s’immisce jusque dans la chambre à coucher. « Les temps sont durs. C’est la faute de l’époque », qui détruit les corps et les illusions.
La petite Ruby ne peut plus rien s’offrir rubis sur l’ongle. Elle passe de l’autre côté du miroir dans une maison close. Pourtant, elle refuse de céder au désespoir. Toutes ces histoires décrivent une Amérique blessée. La pauvreté oblige les personnages à dépendre de l’aide sociale, mais ils n’aspirent qu’à voler de leurs propres ailes. Seront-ils les « capitaines de leurs destinées », s’interroge Martha Gellhorn qui pointe leur dignité. « Tous les hommes ont des droits inaliénables à la vie, à la liberté, à la recherche du bonheur.»
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ISBN : 9782373850611
ISBN ebook : 9782373850673
Collection : La Grande Collection
Domaine : Littérature étrangère, États-unis
Période : XXe siècle
Pages : 368
Parution : 24 mai 2017