Comment lutter contre le terrorisme islamiste dans la position du missionnaire
Tabish Khair
Traduit de l’anglais (Inde) par Antonia Breteuil
Aarhus, au Danemark. Le narrateur, un Pakistanais athée et pragmatique, vit en colocation avec Ravi, un Indien flamboyant et sceptique, et Karim, Indien lui aussi, qui partage son temps entre son travail de chauffeur de taxi et sa pratique austère de l’islam. Alors que le narrateur tente de se remettre de son récent divorce et que Ravi tombe éperdument amoureux d’une Danoise, les trois hommes se retrouvent brusquement mêlés à une affaire où règnent soupçons, méfiance et peur. Karim est-il le dangereux terroriste que le narrateur voit en lui ? Pourquoi disparaît-il si régulièrement ? Dans ce roman audacieux, Tabish Khair met en lumière, avec humour et vivacité, la mince frontière entre foi et fanatisme, jugement et préjugé, destin individuel et histoire collective.
Poète, romancier, journaliste, critique littéraire, Tabish Khair est professeur de littérature à l’université d’Aarhus, au Danemark. Né à Gaya, dans le Bihar, en 1966, il a publié son premier recueil de poèmes, Where Parallel Lines Meet, en 2000 chez Penguin. Son premier roman, Apaiser la poussière, publié aux Éditions du Sonneur en 2010, fut sélectionné pour le Encore Award, prix décerné par la Société britannique des Auteurs. Il collabore régulièrement à divers journaux et magazines britanniques, américains, indiens, danois… tels The Guardian, Outlook India, Times of India, The Independent, The Wall Street Journal, etc.
Leon-Marc Levy, La Cause littéraire
Tabish Khair est un formidable raconteur. Son aptitude à l’empathie avec ses personnages, son talent pour traquer au plus près les comportements, le discours de chacun, son humour par dessus tout qui permet un regard profondément humain sur les péripéties de son récit, font de ce livre un moment de chaleur, de sourire, de tolérance enfin. Sur ce sujet, et par les temps qui courent, c’est une sorte d’exploit.
L’islam – et hélas par voie de conséquence l’islamisme – sont au cœur de ce roman. Mais la position du missionnaire n’est pas en reste ! Qu’on se rassure, on échappe à tout discours théorique et attendu sur la question, aucun des protagonistes de l’histoire ne le supporterait ! Et nous non plus, trop occupés que nous sommes à rire. Les trois héros incarnent – chacun à sa façon – trois situations face à la religion du prophète : l’un est musulman pakistanais (le narrateur/auteur ?) parfaitement « laïcisé », l’autre, son ami Ravi, n’est pas musulman, mécréant bon teint issu de la grande bourgeoisie indienne, et enfin Karim, indien aussi, pratiquant sourcilleux qui voit d’un œil critique ses deux hôtes (ils occupent deux chambres chez lui).
Mais enfin ce trio disparate fait bon ménage et, autour des bons repas préparés par Ravi – excellent cuisinier – et dans le salon commun, tout se passe au mieux. Jusqu’à…
La puissance de l’humour de Tabish Khair se déploie à partir de ce « jusqu’à ». Le narrateur se place en parfait contrepied des « leçons d’écriture » qu’il a naguère reçues : ne pas déflorer la suite de l’histoire, ne pas pratiquer le décalage temporel en multipliant les « flashes award » (antonyme ici de flash back). Au contraire, Khair/narrateur ne cesse d’annoncer des éléments à venir de la narration – dans une sorte de projection de l’après catastrophe annoncée. L’effet est radical : éveiller la curiosité bien sûr mais surtout nourrir une longue série de sourires à répétition. D’autant que le livre commence par cette « leçon d’écriture » soigneusement trahie tout au long du roman :
« Commence toujours in medias res, m ‘avait dit une fille, la seule que j’aie jamais baisée à être titulaire d’une maîtrise de création littéraire »
Donc on ne sait pas où se situe le « jusqu’à » dans la temporalité du récit. Même quand l’événement aura eu lieu on ne saura pas si on est avant ou après, ça ne changera pas grand-chose. Le parti pris de jouer des «ultimas res » marche pleinement !
« Quand je repense aujourd’hui à cette conversation, je me rends compte d’une chose : j’aurais dû me douter de ce qui était à venir »
On rit. De la religion bien sûr aussi. La musulmane mais pas que. « Je comprends à présent pourquoi vos putains de mollahs sont parvenus à nous envahir. Ce n’était ni grâce à la poudre ni grâce aux canons. Mais grâce au namaz. Tandis que nous restions assis à nous tourner les pouces, à faire tinter des cloches en hommages à nos dieux, vous vous entraîniez cinq fois par jour. Le namaz est la gym de l’islam ; voilà pourquoi ils le détestent autant en Occident – c’est trop de concurrence pour leurs saloperies de centres de remise en forme. »
L’autre sujet du roman c’est le Danemark, en tout cas Aarhus au Danemark. Et on rit aussi – et beaucoup du Danemark et des Danois (Danoises). Le pays d’accueil est moqué pour sa naïveté, sa rigidité, sa somnolence tranquille dans un ordre établi que nul ne saurait remettre en cause. L’auteur de cet article tient de bonne source – proche de Tabish Khair – que le Danemark est vraiment comme dans ce roman.
« Après le thé, nous sommes allés nous promener dans une forêt voisine dont les arbres étaient parfaitement alignés, et Ravi n’a pu s’abstenir de déclarer, sarcastique, que les forêts danoises étaient remarquablement bien élevées. »
Tabish Khair nous offre avec ce livre (mieux vaut éviter d’en répéter le titre pour rester dans le format) un roman de pur humaniste et de grand conteur. On en sort réjoui certes mais aussi réconforté par un beau moment de tolérance. A lire, d’urgence. Pour le plaisir littéraire et pour la santé !
Dom Moreau, Penser/classer
Futé, Tabish Khair, parce que durant la lecture de ce roman brillant à plus d’un titre, on suppute, on suspecte, on imagine, on interprète, et nous voilà pris dans ce mouvement si peu rationnel qu’il nous conduit au préjugé alors que le jugement ne peut avoir lieu qu’après l’exposé des faits. En ces temps de racisme que l’on pourrait croire — au vu de l’actualité — devenu ordinaire, en ces temps de replis identitaires, ce livre est important parce qu’il déplie notre manière d’appréhender, dans la trame sociale, ce qui est différent de nous, ce qui est nouveau, et parce qu’il montre notre faiblesse à nous rassurer en réduisant le portrait de l’autre à nos peurs, en le faisant rentrer dans un cliché, une case. Démarche rapide et qui, pourtant, paradoxalement, s’installe comme une certitude. Nous vivons dans un monde complexe, et cette complexité, faute d’être décodée, inquiète. Il faudra bien, néanmoins, sous peine de lever des conflits communautaristes et nationalistes inutiles, d’arrière-garde et dangereux, et en dépit des discours réducteurs des médias ou des hommes politiques, accepter de vivre avec, voire davantage : accepter que d’elle, dans un vingt et unième mondialisé, chacun d’entre nous participe.
ISBN : 9782916136684
ISBN ebook : 9782373850994
Collection : La Grande Collection
Domaine : Littérature étrangère, Royaume-Unis
Période : XXIe siècle
Pages : 296
Parution : 18 octobre 2013