Insectes
Lafcadio Hearn
Traduction de l’anglais et préface d’Anne-Sylvie Homassel
Observateur du familier et de l’étrange, Lafcadio Hearn s’intéresse aux insectes, en poète plus qu’en naturaliste. Une fois installé au Japon, il trouve dans les coutumes et les croyances du pays un écho singulier à ses propres préoccupations. Ainsi Hearn détecte-t-il dans l’affection que les Japonais ont pour les insectes une ouverture au monde dont l’Occident chrétien et industrialisé n’est pas capable.
Durant les quatorze années de son séjour au Japon, il écrit nombre d’essais descriptifs et de contes relatifs aux insectes — grillons, cigales, libellules, lucioles, fourmis, papillons, mouches et moustiques — directement inspirés de la poésie et du folklore japonais. Il tisse de subtiles correspondances entre le Japon et la Grèce antique, seule autre civilisation à ses yeux qui ait su chanter avec la même plénitude le monde des insectes, riche en merveilles scientifiques et en symboles métaphysiques. Se dessine peu à peu sous les yeux du lecteur un univers qui parle autant des insectes que de l’âme humaine, dont ils sont, au Japon, en Grèce et dans le cœur de quelques poètes européens, les énigmatiques messagers. « Et l’étal chantant du marchand d’insectes dans quelque festival nocturne ne proclame-t-il pas une compréhension universelle et populaire des choses qui n’est, en Occident, perçue que par nos poètes les plus rares – le plaisir mêlé de douleur que procure la beauté de l’automne, l’étrange douceur des voix de la nuit, la résurrection magique du souvenir par les échos des forêts et des chants ? », proclame Hearn dans son essai sur les insectes musiciens.
Quinze ans après la mort de Hearn, l’un de ses élèves et traducteurs compila, pour une maison d’édition japonaise, une dizaine de ces textes consacrés aux insectes ; c’est ce projet que nous reprenons ici, en l’augmentant d’un texte sur les insectes dans la poésie grecque et de cinq courts articles datant de la période américaine de Hearn.
Sommaire :
Préface : Au pays des insectes
Papillons du Japon
Moustiques
Fourmis
Histoire d’une mouche
Lucioles
Libellules
Sémi
Insectes musiciens
Kusa-hibari
Quelques poèmes anglais sur les insectes
Quelques poèmes français sur les insectes
Les insectes dans la poésie grecque
Politique entomologique
La tarentule du docteur Hava
Esquisses sur les insectes de la Nouvelle-Orléans
Lafcadio Hearn est né en 1850 en Grèce, d’une mère grecque et d’un père irlandais. À peine adulte, il part tenter sa chance à Londres puis aux États-Unis. Il devient correcteur à Cincinnati, où il commencera dès 1874 à rédiger des reportages à sensation pour The Inquirer, avant de partir pour la Nouvelle-Orléans. De cette époque datent ses premières publications en volume : deux recueils de contes, Feuilles éparses de littérature étrange et Quelques fantômes chinois, ainsi que des ouvrages consacrés à la culture créole. Il s’installe à la Martinique en 1887 et y demeure jusqu’en 1889, le temps de collecter les récits et croquis de Deux ans dans les Antilles françaises et d’écrire deux romans, Chita et Youma. Puis il gagne le Japon, sa dernière patrie, où il écrit plus d’une dizaine d’essais et de recueils de contes. Il meurt en 1904, quelques mois après la publication aux États-Unis de son recueil le plus connu, Kwaidan.
Louise de Crisnay, Libération
Lafcadio Hearn savait bien qu’un chasseur de lucioles n’a jamais le temps de les placer une à une dans son filet. Il les lance et les conserve directement dans sa bouche. L’écrivain irlandais, installé au Japon en 1890, fait preuve de la même adresse dans ses chroniques sur les insectes. Amateur éclairé, son éclectisme n’est sans doute pas sans lacunes, mais justement, ajoute-t-il, « étant ce que je suis, je puis m’aventurer dans les théories ». C’est donc tout naturellement qu’après avoir observé l’animal dans la symbolique du folklore ou de la poésie, il arrive au « vrai roman » de la luciole, l’inimitable complexité de son organe photogène, avec la conviction « que la matière, en quelque manière aveugle mais infaillible, se souvient toujours. Et qu’au cœur de toute matière vivante, sommeillent d’incommensurables possibilités, par le motif tout simple qu’il n’est point, en dernière analyse, d’atome en qui ne repose l’expérience indestructible et infinie de milliards de milliards d’univers disparus ».
Frédéric Fiolof, La Quinzaine littéraire
Les Éditions du Sonneur nous offrent de temps à autre des objets littéraires inclassables et réjouissants. On avait pu lire l’an dernier Pourquoi le saut des baleines, de Nicolas Cavaillès, un opuscule qui oscillait entre l’essai philosophique et la fantaisie ciselée. La curiosité ne redoutant pas le changement d’échelle, le même éditeur vient de faire paraître Insectes, de Lafcadio Heam (1850-1904). À peu près inconnu en France, ce journaliste et essayiste gréco-irlandais, émigré aux États-Unis à l’âge de dix-neuf ans, s’installa plus tard au Japon, son pays de cœur dès 1890, y enseigna et y vécut les quatorze dernières années de sa vie. L’ouvrage rassemble les textes que l’auteur consacra à sa passion sensible et littéraire pour les micro-créatures qui nous entourent, dont il nous révèle à quel point elles imprègnent également la culture et la poésie de son pays d’adoption.
« Quelle taille faut-il avoir pour mériter votre estime ? » On dit que c’est par cette question que Jules Michelet interpellait les contempteurs d’insectes. On prêterait volontiers ce mot de l’historien à l’auteur du présent livre : le regard que ce dernier porte sur la partie souvent la moins estimée du monde animal est empreint du plus grand respect et de l’attention la plus méticuleuse. Pour autant, la plume de Lafcadio Heam n’est pas celle d’un entomologiste mais d’un homme curieux, à l’érudition buissonnière et amoureux du monde créé jusque dans ses infimes interstices.
Lucioles, fourmis, moustiques (Heam rêva un jour d’être réincarné en l’un d’entre eux)… L’auteur effeuille une partie des innombrables hokku (nom d’origine du haïku) qui leur réservent une place de choix, va parfois butiner du côté des contes, des chansons ou des romans. Il lui arrive d’isoler chacune des variétés d’un même insecte pour affiner encore les occurrences qu’il relève, ou de distinguer les axes thématiques selon lesquels chaque animal aura été abordé.
Pourtant, même lorsque le geste est classificatoire, ces évocations restent étonnamment vivantes et l’on sent que chaque recension est une affaire de cœur.
Mais cette présence dans les textes est avant tout le reflet d’un trait de civilisation, d’une attention millénaire inscrite dans le quotidien. Lafcadio Hearn nous décrit quelques-unes des traditions encore vivaces au Japon et dont certaines ne manqueront pas de nous laisser rêveurs : la chasse aux lucioles (on appréciait, dans la haute société, les lâchers de nuées luminescentes au cours de fêtes nocturnes), le commerce d’insectes musiciens, l’art raffiné de la confection de cages miniatures pouvant les abriter… On découvre des insectes prisés pour leur beauté, le caractère plus ou moins sacré de certains d’entre eux, les nuances subtiles de leur chant, ou pour leur simple présence domestique. L’un des textes les plus touchants et les plus personnels de cet ensemble est d’ailleurs celui que l’auteur consacre à un insecte qui fut le sien : un Kusahibari (« alouette de l’herbe ») − variété de grillon minuscule au chant particulièrement mélodieux. On lira là quelques très belles pages dédiées à ce compagnon mélancolique et presque invisible, condamné à la fois à la solitude et au chant amoureux perpétuel, et que Hearn perdit un jour parce qu’on avait oublié de le nourrir en son absence. Si les deux tiers du livre sont consacrés au Japon, l’intérêt de Hearn pour le microcosme animal datait d’avant son installation dans ce pays, comme en témoignent quelques autres textes. L’auteur cherche encore la trace d’insectes chez les poètes anglais, les poètes français et ceux de la Grèce antique − ces derniers étant d’ailleurs les seuls à leur avoir accordé une place aussi importante que celle qu’ils occupent dans la littérature japonaise.
Au-delà de ce qu’ils nous apprennent d’étonnant ou de savoureux, ces textes (qu’introduit une éclairante préface d’Anne-Sylvie Homassel) résonnent comme une invitation délicate à rester en éveil, attentifs à la beauté du monde dans ses moindres détails.
ISBN : 9782916136943
Collection : La Grande Collection
Domaine : Royaume-Unis
Période : XXe siècle
Pages : 328
Parution : 21 janvier 2016