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Livres Hebdo • Marie Fouquet

Toya est une petite fille qui vit dans un château dont elle n’a jamais gravi les marches. Sa mère, Pilar, cuisine pour les châtelains, l’odieuse marquise doña Serena et son fils, le brutal et vulgaire Carlos. Juan, son père, est paysan dans les rizières de la propriété. Toya est une enfant espiègle, curieuse, aventurière, qui aime observer la nature et se faufiler dans les jardins du château ou dans les conversations politiques des hommes qui se réunissent avec Juan pour monter un Syndicat.

Laurine Roux nous fait part des fantômes de l’histoire. Ceux de l’Espagne franquiste des années 1930. C’est l’époque du fascisme, de la lutte anarchiste qui fait face aux emprisonnements abusifs et aux exécutions sommaires. C’est aussi l’époque du POUM, ou Parti ouvrier d’unification marxiste – « Face aux fascistes, on ne cherche pas de petites bêtes aux copains ! » L’auteure fait évoluer la jeune Toya dans ce contexte, lui attribuant un courage et des convictions dignes des grands militants, tout en présentant les difficultés à être une femme dans un tel milieu politique.

Parfois, son caractère intrépide la mène à des dangers qu’on ne soupçonne pas encore à son âge. Un jour qu’elle traversait le parc pour trouver Pepe, le jardinier, elle tombe nez à nez avec un des alanos de Carlos, enfui de son chenil. Carlos débarque et retient son chien, mais très vite cette scène devient la métaphore du danger que l’homme représente pour cette petite fille : « La petite se met à trembler. Tout son corps grelotte. N’importe qui aurait pitié. Pas Carlos. […] Qu’on ne se méprenne pas, Carlos n’a rien d’une chica ; les pédales, les fiottes, c’est bien simple, il leur tranche les couilles. Voilà comment il parle. Il aime les femmes […]. Un bruto, murmurent d’aucuns. Et Carlos lorgne l’entrejambe de la fillette, à tel point qu’elle se fait pipi dessus. » Si, à cet instant, Toya n’a pu renvoyer aucun signe de défense à son agresseur, l’humiliation et la rage qu’elle a éprouvées à l’égard de celui qui meurtrit aussi sa mère au quotidien marqueront à jamais cette « petite folle », cette « sauvage ».

L’articulation que Laurine Roux opère entre le passé et le présent fonctionne à merveille. Une brève introduction présente l’image, quasi subliminale, d’un personnage féminin d’aujourd’hui, Luz, que l’on retrouve en deuxième partie du roman. Luz découvre avoir un lien particulier avec la jeune Toya, désormais une vieille femme. Ainsi les fils de l’histoire et de l’intime se nouent-ils, dessinant une sublime trame, entre réel et fiction.

Après Une immense sensation de calme (prix Révélation de la SGDL 2018) et Le Sanctuaire (Grand Prix de l’Imaginaire 2021), l’auteure se saisit à nouveau de thématiques liées à la communauté, à la politique et à la filiation. Dans L’Autre moitié du monde, elle développe un discours fort, politique et féministe, avec des personnages aux destins proches de celui d’Antigone, dans un milieu anarchiste qui n’est pas exempt de sexisme. « Les femmes sont des camarades comme les autres. »

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