Véronique Rossignol, Livres Hebdo
Clotilde Escalle prête sa voix rageuse à des maltraités en quête de fuite.
Impossible de trouver Copiteau sur une carte. Peut-être parce que « De Copiteau, on ne peut pas dire grand chose ». Peut-être parce que le bourg qu’a imaginé Clotilde Escale ressemble à tant de patelins fantômes, ni touristiques villages ruraux, ni tout à fait villes, relégués. Copiteau, donc, à quelques dizaines de kilomètres de LA ville, un bled, pour ne pas dire un trou, entouré de champs, où il n’y a rien à voir, ni monuments remarquables, ni natifs célèbres. Copiteau, sa pâtisserie que personne ne veut reprendre, son institution privée catholique, sa salle polyvalente, son stade, son asile psychiatrique, son maire dépressif. Et ses habitants : mâles rustres, femmes seules vieillissantes, mères malveillantes, filles abusées…, des malheureux et des demeurés. Parmi eux, vivant dans une ferme mal en point, trois frères dont Robert et Patrick « deux crétins » franchement dégénérés qui, quand ils ne tendent pas des filins d’acier en travers de la route pour provoquer des accidents, violent Caroline, une adolescente de bonne famille enfermée chez les « zinzins ». Paul, le troisième frère, « obsédé, sidéré par sa présence au monde, (il) récite des poèmes pour se consoler » et est « fantastiquement attaché à sa mère ». Le père ? Mort dans une grange et laissé là pendant une semaine avant qu’on ne se préoccupe de son sort. Croisons aussi Jeanne, une lycéenne au futur en impasse, toute ronde sur ses grand talons, aguicheuse et prête à tout pour intéresser Eric, vendeur sur les marchés de têtes d’Indiens et d’autres marchandises estampillées USA, empailleur à ses heures. Etriqué, mesquin, adorateur de Chateaubriand, voici Maître Puiseux, le notable du bourg, ratatiné dans le passé. Héritage, dernières volontés, testament, assurances-vie, donations…, c’est autour de l’univers mortifère de ce notaire sans relief et sans cœur que vont se dévoiler peu à peu les liens qui unissent les personnages.
Auteure de plusieurs romans – Pulsion (Zulma), Off (Pierre-Guillaume de Roux), La vieillesse de Peter Pan (Le Cherche-Midi), Herbert jouit (Calmann-Lévy)… -, la critique d’art Clotilde Escalle qui écrit également pour le théâtre, a la plume rageuse et crue pour faire résonner les soliloques de ces laissés pour compte qui rêvent de nouveaux départs pour se débarrasser de la honte poisseuse et de l’odeur de goudron laissée sur la peau par les savons bon marché. Taraudés, pour les plus vulnérables d’entre eux, par l’envie de fuir cet endroit où germent les pulsions les plus brutales, par une « envie mortifère et languide de partir, une envie qui tarira bientôt, du moins pour la journée, épuisée d’elle-même par tant de ressassement ». Mais c’est loin l’Amérique. Et pas sûr que là-bas ça soit vraiment mieux qu’à Copiteau.