Valérie Susset, L’Est Républicain
Une petite merveille que ce premier roman de Laurine Roux ! En déposant la poésie de sa langue superbe dans l’âpreté d’un Grand Nord battu par un vent glacial, en contant le cheminement viscéralement amoureux de sa narratrice auprès d’Igor, l’homme animal, l’écrivaine détresse les légendes pour que toujours la mort chemine avec la vie… sans que jamais la noirceur n’éteigne la lumière. Dans cet étrange pays où les cours d’histoire ne remontent pas à plus de cinquante ans, où les femmes ont choisi le Grand-Oubli pour laisser la douleur au bord de leurs lèvres après que des oiseaux de fer ont décimé les hommes en crachant leurs boules de feu, la jeune fille dont on ne saura pas le prénom n’oubliera jamais sa Baba dont « les histoires d’un autre temps s’égrenaient en ronds de fumée ». Mais avec Igor aux baisers verts et bleus, dont « le calme répand autour de lui un périmètre ouaté dans lequel les battements de [son] cœur s’assouplissent », elle renoncera peu à peu à la peur et à l’inquiétude. Dans cette nature rugueuse et organique où les graines de karja aident à supporter un passé au goût d’épine, où la cruauté des hommes a semé des fleurs de sang, où « il n’y a plus de place pour la parole » mais où, certains soirs, dans le crépitement du feu, les mots se déroulent en rubans sur lesquels sont brodées des épopées… l’humain comprend vite qu’il n’est que de passage. Que son existence « n’a pas plus d’importance que le nuage ou la bécasse. Pas moins non plus. » Et une fois le livre refermé, la narratrice n’est plus seule à ressentir « une immense sensation de calme »…