Tatiana Rivet, Week-end

Tatiana Rivet, Week-end

Le roman Vie de monsieur Leguat, de Nicolas Cavaillès, sorti aux Éditions du Sonneur, est basé sur une histoire vraie : celle de François Leguat, ce singulier voyageur de nos eaux de l’océan Indien de la fin du dix-septième siècle. Ce roman court et percutant touche par la pureté et la justesse du style et emporte le lecteur à travers un voyage dans le temps, dans l’espace, pour rétablir la vérité, autoriser la rêverie et plus encore pousser à réfléchir sur cet ailleurs, tel que le définit Cavaillès. Les passionnés de récits de voyages connaissent déjà sans doute l’existence de François Leguat. Né dans l’est de la France en 1638, cet homme se voit contraint à l’exil suite à la révocation de l’édit de Nantes qui interdit tout culte aux protestants. Après plus de cinquante ans passés dans sa Bresse natale, Leguat se réfugie en Hollande puis embarque à bord d’une frégate, l’Hirondelle, accompagné d’une dizaine d’hommes. Tous, bannis comme lui, recherchent un éden dans l’océan Indien, lieu où ils ont l’espoir de créer une communauté utopiste dont ils seraient les précurseurs. L’île déserte Diego Ruiz – futur Rodrigues – puis l’île Mauritius, alors sous le contrôle des Hollandais et habité par quelques trois cents hommes, seront-elles le paradis espéré de ces exilés ? Nombre de livres, essais, études ou autre écrit sur l’histoire de notre région des Mascareignes mentionnent François Leguat. Dès 1707, le récit intitulé Voyage et aventures de François Leguat et de ses compagnons en deux îles désertes des Indes orientales paraît à Londres et Amsterdam, puis partout en Europe. Leguat avait en quelque sorte « abandonné son texte », laissant à d’autres retravailler son histoire, à la mode des récits exotiques de l’époque, dénaturant par là même sa véracité. Nombreux considérèrent qu’il s’agissait de l’œuvre d’un fabulateur, d’autant que la faune et la flore décrites avaient en partie rapidement disparues après le passage de Leguat. « La Bêtise humaine a souvent tendance, face a l’extraordinaire, à le repousser comme quelque chose de faux sans chercher à comprendre ou a voir de plus près », nous confie Nicolas Cavaillès lors de son entretien avec Week-End. Il aura fallu de longues années de recherches pour retrouver arbres et animaux présentés dans le récit initial, comme par exemple le cousin rodriguais du dodo, dit le solitaire. L’on peut s’interroger sur les motifs qui ont poussé l’auteur, spécialiste de la littérature du vingtième siècle, et qui a édité, à la Pléiade, l’œuvre complète de Cioran, au choix du personnage de Leguat pour son premier roman. Outre le point commun anecdotique tenant au fait que Nicolas Cavaillès et François Leguat sont tous deux originaires du même village de l’est de la France, Saint-Jean-sur-Veyle, c’est surtout le personnage humble et mystérieux de Leguat ainsi que son rapport avec l’authenticité qui ont attiré l’auteur. Inspiré du récit paru au début du dix-huitième siècle comme principale source d’information, ce premier texte offrait « une trappe, une porte ouverte vers un autre monsieur Leguat », nous explique Nicolas Cavaillès, un autre Leguat à qui l’auteur a souhaité rendre sa vie en quelque sorte. Parallèlement, il a étayé ses recherches, notamment sur les travaux et les études faites à la Réunion; toutes les dates et itinéraires indiqués dans le roman sont rigoureusement exacts. L’auteur, tout en avouant sa réticence pour la fiction pure, révèle son intérêt pour l’imaginaire. Le flou inéluctable autour de ce personnage permet de creuser la réalité et de laisser libre cours à l’imagination d’une réalité perdue. Comme nous le souligne Nicolas Cavaillès, « c’est curieux comme une réalité peut devenir une création imaginaire. Comme le Dodo, cet oiseau disparu, qui est devenu un oiseau imaginaire chez Lewis Carroll dans Alice aux pays des merveilles ». Par ailleurs, Vie de monsieur Leguat va au-delà du simple compte rendu de voyage ; il opte pour ce que l’auteur appelle « le déroulé chronologique »… un avant, un voyage et un après voyage… un début, un milieu et une fin… Le roman met en exergue le destin incroyable de cet homme aux « trois vies quand beaucoup d’entre nous en vivent à peine une, tour à tour seigneur des plaines de Bresse, aventurier de l’océan Indien et patriarche des bas fonds londoniens ». Qui est ce François Leguat ? Qu’engendre le déracinement d’un homme de cinquante-deux ans contraint à l’exil ? Quelle est l’existence de cet homme singulier qui termine sa vie à Londres et meurt à 96 ans après un périple jonché de découvertes et de mésaventures ? « Y a-t-il un destin, une logique ou doit-on croire a la gratuité des évènements », s’interroge l’auteur. Leguat, révélé par Nicolas Cavaillès à travers son roman, pousse le lecteur à s’interroger sur le juste milieu entre enracinement et découverte, entre nature et civilisation. Face à l’exil, contraint par des motifs similaires, face à la désillusion après une émigration guidée par des rêves préconstruits par d’autres, face à la destruction de la nature par l’homme, cachée hypocritement derrière des termes comme « progrès », « croissance »,« économie » ou « tourisme », Leguat sert de modèle. Par opposition à un Robinson Crusoé, colonisateur et nostalgique de la civilisation, Leguat adopte une attitude respectueuse envers l’arbre nourricier et la mer généreuse. Néanmoins, il ne demeure pas pour autant dans l’éden rêvé ; la civilisation le rattrape par la force des choses. Sollicité par Week-End sur un éventuel désir de découvrir Maurice et Rodrigues et sur le genre de voyage qu’il souhaiterait y entreprendre, Nicolas Cavaillès avoue avoir réalisé une partie de son voyage à travers la littérature, de par l’écriture de son livre mais aussi à la lecture, notamment de Le Clézio et d’Ananda Devi. L’auteur cite Barlen Pyamootoo : « J’ai beaucoup aimé Bénarès. Ce que je trouve intéressant, c’est l’itinéraire au sein de l’île qui va à l’encontre de l’image que nous, pauvres Français, avons hélas. » Nicolas Cavaillès nous confie son penchant pour un voyage à la Bénarès ou à la Leguat, en dehors des balisages, à la rencontre du vrai, par opposition au voyage carte postale. « L’ailleurs est devenu un objet de consommation que l’on peut acheter empaqueté sous un format voyage à la semaine », déplore-t-il. Ce n’est pas seulement un bijou de littérature que Nicolas Cavaillès nous offre par la beauté de son écriture riche et poétique mais aussi un voyage en profondeur à travers des interrogat ions qui toucheront d’autant plus le lecteur insulaire.

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