EtudesFillesdudjihaad

Agnès Mannooretonil • Revue Études

Entre leurs familles, musulmanes et d’origine indienne, et le lycée de leur banlieue populaire en Angleterre, Ameena et Jamilla font tous les jours l’expérience pénible de la contradiction culturelle. Jamilla fait tout pour « en être », c’est-à-dire « connaître le sexe », comme l’analyse avec une détestation lucide Ameena, qui décrypte ainsi pour nous les terrifiants mécanismes de groupe où son amie se laisse humilier. Ulcérée par les codes de sa génération qui sont pour elle autant de signes de la « dépravation de l’Occident », Ameena entreprend de « sauver l’âme » de sa camarade. Sur Internet, une femme dévouée à « la cause » en Syrie la convainc d’embrasser une vie enfin libérée de ses contradictions : en quelques mois, les deux jeunes filles se retrouvent en Syrie. Le risque était grand de faire exploser un roman sur le sujet miné de la « radicalisation ». Tabish Kair choisit de s’appuyer sur l’efficacité d’une écriture réaliste, presque documentaire, qui porte un récit limité au strict point de vue de la jeune fille. Il en résulte un roman parfaitement équilibré – un paradoxe, vu le sujet. Les jeunes filles, prisonnières d’une microsociété régie par la perspective de la mort, par le fanatisme religieux et par une stricte séparation des sexes, frôlant l’absurde, découvrent un vice humain qui n’annule pas les autres aberrations de ce système de pouvoir mais qui infuse tout : la logique carriériste à l’œuvre chez les hommes et les femmes embarqués dans ce totalitarisme d’un nouveau genre ; tapie dans chaque parole et dans chaque geste, cette logique tue l’âme en tuant le fondement de la relation. Extrêmement convaincant, le récit d’Ameena glace le sang mais libère une réflexion féconde sur un phénomène épouvantable.

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