Pierre Assouline, La République des livres
Ce mince recueil de considérations sur le style est le genre de choses que l’on se plaît à garder dans une poche ou au fond de son sac en permanence pour y aller voir à tout instant. Un pour la route ! Jules Renard est de ces rares auteurs dont l’humeur lucide vous réconcilie avec la vie par ses paradoxes ironiques, et la poésie qui nimbe en permanence sa morale littéraire, fut-elle des plus rosses. D’un point de vue comparatiste, Renard diariste, c’est les Goncourt sans la haine, Léautaud sans l’aigreur et tant d’autres grands auteurs de journaux sans leur déballage impudique, ce que sa timidité et sa réserve lui interdisaient. Foin de l’émotion et du sentiment ! Tout pour l’esprit, son masque. Comme si le moindre défaut dans la cuirasse d’ironie pourrait donner prise à l’ennemi. Il craint même les travers de l’exercice d’admiration — sauf pour Hugo, pour lequel il se lâche. Qui en son temps a su exorciser ses angoisses avec autant de bonheur ? Son soliloque avoué et revendiqué est celui d’un écrivain qui écrit pour lui. Il se confie à lui-même. Son Journal est, pour reprendre l’exact jugement d’Henry Bouillier, son éditeur chez Bouquins, « un confident, un registre des humeurs, un camarade de combat, un mémento des hauts et des bas, un miroir fraternel » plutôt qu’une centrale de renseignements. C’est pour cela qu’il n’a pas fini de nous parler.