Virginie Troussier, Actualitté
François Blistène ne se prend pas au sérieux. Il s’amuse. Il manipule ses personnages comme des marionnettes dont il tire les ficelles un petit sourire au coin des lèvres. C’est ainsi que l’on retrouve dans Le Passé imposé un père de famille bien décidé lui aussi à tout contrôler, et particulièrement le destin de sa progéniture. Il désire, en effet, modeler ses enfants, les éduquer à sa guise, en les coupant du monde extérieur. Il les enferme donc, et les instruit, avec l’aide d’un maitre, seul être accepté du dehors.
Ses enfants sont comme des pages blanches, des enveloppes vides qui ne demandent qu’à être comblées. Alors il les modèle, les sculpte selon ses désirs, les taille sur mesure. Les enfants deviennent son œuvre, une sorte de performance. Ils se nourrissent de livres et de la bonne parole du père. Tout en s’élaborant, cette réalité sonne de plus en plus vraie, l’illusion se perfectionne et les repères de l’intérieur et de l’extérieur finissent par s’estomper. Brouillant ainsi les frontières entre l’authentique et l’imposture, le public et le privé, l’auteur questionne l’identité.
Comment se construit-on ? Avec quoi ? Peut-on se passer de ce monde qui nous entoure ? Fuir la société, oublier les autres hommes ? Derrière cette fantaisie légèrement perverse, ponctuée de traits d’humour absurdes, s’esquisse quelque chose de plus profond, de plus mélancolique aussi.
Sous une apparence désinvolte, François Blistène frappe au cœur des liens familiaux les zones les plus obscures de l’égoïsme, individuel et social, mais il le fait en restant à la lisière d’une étrangeté qui pose un voile déroutant sur le monde.
Dans ce roman, l’enfermement ne fait pas irruption pour museler le vacarme de la vie. Le Passé imposé dit la méconnaissance de l’autre, l’incommunicabilité dans une famille. A ceux qui tiennent la bien nommée cellule familiale pour une patrie, l’auteur oppose un éternel sentiment de solitude. Et finalement, l’enfermement délie les langues, libère la parole et peut-être aussi la vérité des êtres. Les personnages se construisent d’une manière autre, cela devient étonnant.
Comment advient le savoir ? Comment se dessine notre regard ? Grâce aux livres, à la famille, l’éducation, l’inconnu, l’expérience ? Ce roman soulève ces questions, il est un véritable livre d’apprentissage, une épopée singulière et renversante.
Dans la deuxième partie du livre, les enfants s’échappent de la cellule familiale et partent à la découverte de Paris et de la vie. Les deux aînés ont une personnalité différente de la dernière. Pourtant, n’ont-ils pas reçu la même éducation ? Que fait-on d’une liberté retrouvée ? François Blistène travaille, expose les rouages de la cruauté familiale, de l’étouffement de chaque famille, de l’aspect mortifère des gens « qui s’aiment ».
On s’attache très vite à la fausse innocence de l’auteur. Sa plume désinvolte, faussement indifférente, nous fait rire. Elle laisse la porte ouverte à tous les possibles imaginables, joue de situations farfelues, au risque de se perdre, ou de se brûler les ailes, dans une mise en danger constante, et surprenante. Elle introduit le possible dans le récit.
Comment voler de ses propres ailes après une enfance étouffante ? Comment s’échapper, comment s’arme-t-on face à la vie, seul ? Tout semble réalisable pour ces personnages enfin libres.
François Blistène, lui, noue les fils, emberlificote des vies en silence. Ses phrases avancent, lisses et policées. Son impassibilité de ton n’est pourtant qu’apparente. Cette prudence devant les affects et les sentiments est là pour contenir une folie, celle qui affleure subtilement à chaque page.