Nyctalopes

Nyctalopes

« Né en 1969, Emanuel Dadoun vit à Paris. Après une adolescence passée dans les comics et la poésie, il mène des études de philosophie à La Sorbonne, rédige un mémoire sur l’anthropologie kantienne et court-circuite sa destinée de prof pour l’écriture. Grand amateur de Manchette et d’Edward Bunker, il est l’auteur de deux polars, Lazarus (2010) et Microphobie (2012) publiés aux éditions Sarbacane et d’un roman noir, La Machine (2019), édité à La Manufacture de Livres. Il a par ailleurs écrit un roman jeunesse, Kimpouss, publié par L’École des Loisirs. » Voilà les phrases d’une présentation officielle de l’auteur ci-présent. Oui, parfois, cela nous aide le travail préparé par d’autres (cf les 4e de couv’ largement utilisés par nos soins). Personne n’étant parfait ni exhaustif, Nyctalopes n’avait jamais eu l’occasion de parler du travail d’Emanuel Dadoun. Ceci va changer.

En pleine guerre de Sécession, un major français se voit confier une mission quasi impossible : acheminer à bord de trois bateaux à vapeur une précieuse cargaison de coton jusqu’au golfe du Mexique. À la tête d’un régiment disparate, constitué d’Américains, de Français, de Cajuns et d’Amérindiens, il va entraîner ses hommes dans une folle expédition, onirique et obstinée, au cœur des bayous labyrinthiques de Louisiane.

Comment ne pas sentir aspiré par les promesses d’un tel appât quand, comme moi, vous vous intéressez à l’histoire de l’Amérique du Nord et des Etats-Unis (parfois sous ses angles les plus méconnus ou improbables) et à son infusion dans la production romanesque ? Oui la fantaisie littéraire d’Emanuel Dadoun s’inspire de faits réels et de personnages historiques. Tandis que la France de Napoléon III profitait de la faiblesse des Etats-Unis, en proie à sa propre guerre civile, et envoyait une expédition – au final désastreuse – impérialiste au Mexique, des citoyens français décidaient de participer de leur propre chef au conflit, souvent parce qu’ils étaient des immigrants installés sur le sol américain, en voie d’assimilation. L’histoire a retenu la création de ces unités de volontaires au nord, les 53e et 55e New York (« Gardes Lafayette » et « Zouaves d’Épineuil »), a conservé par exemple le témoignage écrit du général Régis (de Keredern ! D’ascendance bretonne, gast) de Trobriand (Deux ans à la guerre du Potomac), plus tard général tunique bleue dans les Grandes Plaines. D’autres Français sont venus tout bonnement proposés leur sabre et leur culture guerrière aux acteurs du conflit : trois princes de la famille d’Orléans, le comte de Paris, le duc de Chartres et le prince de Joinville pour le Nord « libéral » et, notre personnage principal ici, un cas à part, Camille de Polignac, pour le Sud esclavagiste. Ils sont comme ça, les nobles, à la recherche d’un vent d’aventure dans leur moustache, d’une fidélité à un idéal chevaleresque, un baise-main à la dame et un regard pudique sur la société esclavagiste. Alors partons, avec Polignac et Dadoun, pour la Louisiane, sa touffeur, les méandres de ses fleuves à l’odeur de pourri.

Le décor et les circonstances de ces aventures c’est comme une serre sous plastique dont les parois retiennent et ressassent les gouttelettes de sueur, de sang projeté (parce qu’on y massacre allégrement, c’est la guerre), l’épaisseur des haleines, chargées de brandy ou d’angoisse, les brisures de rêves et d’idéaux. Mais sur l’ordure prospère une forme de beauté, une forme d’espoir. On ne sait pas si Emanuel Dadoun s’en est allé pagayer sur des bras du bayou, enveloppés de silence brumeux, de pétarades douces qui parlent de la décomposition dans les profondeurs, de hiatus dans la symphonie aviaire ou batracienne qui précèdent l’embuscade. On comprend juste, qu’avec ses mots, nous nous retrouvons avec lui, les braies trempées, les torses pelliculés de lentilles d’eau, pixels végétaux de ses descriptions, de ses ambiances, de ses scènes de violence brusque, de ses pensées qui s’échappent vers le passé ou l’avenir. C’est là sa belle réussite.

Ensuite, il faut dire la fuite inventive, l’exploration créative : à partir d’un limon historique, Emanuel Dadoun pétrit un artefact littéraire, humidifié sans doute avec ses lubies, ses projections, voire ses obsessions. Il a la délicatesse – peut-être la prudence – de nous en avertir en préface. Emanuel Dadoun a lu, il a ses références littéraires, voire mythologiques. Il a cherché avec intelligence à leur rendre hommage ou matière. Et il y aura donc quelque chose de grec et de tragique, un peu de philosophie et beaucoup de folie, un zeste aussi de Fitzcarraldo dans cette descente vers l’en-bas des fleuves qui préfèrent par endroits s’égarer plutôt que s’écouler…

Je ne dirais pas que tout est parfait dans ce texte d’un genre hybride. Mais je voudrais que soit salué le courage d’un auteur d’agripper un sujet personnel, de louvoyer entre grande et petite histoire dans un ailleurs qui paraît lointain, pourtant proche si nous le réalisons, autant que soit salué le courage d’un éditeur qui l’accompagne.

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