Ludovic Barbiéri, Chronicart
Comment ? Vous n’avez jamais lu Le Passage de Reverzy ? A votre décharge, ce livre célèbre, premier roman de l’auteur, prix Renaudot 1954, n’est plus tellement disponible, en dépit d’éditions en poche dans les années 1970 et 1980 ; pour le lire, le plus simple était jusqu’ici de se procurer les œuvres complètes publiées en 2002 par Flammarion dans la collection « Mille et une pages », occasion de découvrir en même temps ses deux autres romans publiés, Place des angoisses (1956) et Le Corridor (1958), ainsi que les inédits parus après sa mort en 1959 (infarctus du myocarde, à 45 ans).
Or, voici que les Éditions du Sonneur rééditent ce livre splendide, méditation sur l’inéluctabilité de la mort et l’écoulement du temps, baigné dans une espèce de mélancolie fataliste caractéristique des écrivains-médecins (Reverzy fait partie de cette catégorie, à l’instar, entre autres, d’un Chauviré). Mais en même temps, Le Passage n’est pas du tout sombre, puisqu’il est éclairé par le soleil des îles, où Reverzy avait fait un séjour l’année précédente, qui l’avait bouleversé. Le roman raconte la vie de Palabaud, brave type un peu nigaud, émigré depuis longtemps à Raiatea, pas loin de Tahiti, où il tient un bar-hôtel. Son foie le fait souffrir, on lui explique qu’il est malade ; il comprend qu’il va mourir. Après divers flashbacks sur la vie à Raiatea, formidable peinture de l’ambiance magique, indolente et avariée de l’Océanie, avec des personnages secondaires inoubliables (le maori travesti, le cuistot qui ne mitonne que des viandes passées, etc.), Palabaud repart pour Lyon, sa ville natale, avec son épouse indigène. Là, il traîne sa carcasse par les rues, échoue à l’hôpital, et meurt. La dernière scène, la dissection du cadavre, est provocante à souhait ; la phrase finale est merveilleuse ; quant au titre, il s’explique de trois façons au moins : le passage, c’est ce moment sinistre où la matinée fait place à l’après-midi, une fin du monde en réduction ; c’est ensuite le départ de Palabaud pour la France ; c’est enfin, non moins évidemment, le passage de la vie à la mort, sujet dramatique du livre entier.
Il faudrait recopier ici quelques phrases splendides, certaines notations vigoureuses sur l’âme humaine, avec des accents de moraliste ; on préfère vous laisser noter celle que vous préférerez et, pour n’être pas trop long, on se contentera de signaler : 1° que ce très beau livre mérite sa place aux côtés de certains chefs-d’œuvre sur l’agonie (Ivan Illitch) ; 2° que Reverzy mérite la sienne aux côtés de maîtres discrets, Gadenne, Calet peut-être, Bove ; 3° et que si la littérature critique sur lui n’a pas l’air abondante, divers blogs et sites l’évoquent amoureusement, sans compter qu’il existe une plaquette de Charles Juliet à lui consacrée, qu’il pourrait être intéressant de lire en complément de cette magnifique réédition.