L’Express • Delphine Peras
Il est toujours impressionnant de constater à quel point la fiction peut devancer la réalité. C’est le cas de ce deuxième roman de Laurine Roux, née en 1978, professeure de lettres dans les Hautes-Alpes, déjà très remarquée pour son premier titre, Une immense sensation de calme (2018). Cette fois, elle met en scène une famille – un couple et ses deux filles – retranchée dans une cabane au cœur de la forêt, après une pandémie qui aurait décimé le reste de la population. La cause ? Un virus transmis par les oiseaux. Suivez mon regard… Écrit bien avant la crise du Covid-19, le « Sanctuaire » désigne précisément le lieu qu’a délimité le père, lui seul s’autorisant à en sortir le temps de « rapines » dans la vallée pour rapporter des provisions, quand il ne s’acharne pas à occire le moindre volatile avec un lance-flammes. Sa cadette, Gemma, n’a jamais connu le monde d’avant la « catastrophe », contrairement à l’aînée, June, et à leur mère, Alexandra, nostalgiques de leur ancienne vie.
Élevée à la dure par ce paternel brutal et paranoïaque, Gemma est l’attachante narratrice de cette fiction originale aux accents survivalistes, sans indication de lieu ni de temps : armée de son arc et de ses couteaux, experte en dépeçage du gibier, la gamine fait corps avec une nature que la romancière magnifie par sa langue sensuelle, riche en mots rares et précieux (parfois trop). Laurine Roux n’en perd pas pour autant le sens du récit, faisant monter la tension à mesure que sa jeune héroïne repousse les frontières du sanctuaire et s’aventure à ses risques et périls sur les traces d’un aigle fascinant. Au prix, surtout, d’une issue fatale… mais libératrice. La fin du livre est sidérante.