Les Lettres françaises

Les Lettres françaises

Le Patron est une page de la jeunesse de l’auteur, narrateur du récit, alors qu’adolescent encore, misérable et solitaire, il parcourait la Russie en faisant les métiers les plus rudes pour gagner son pain. Vassili Séménof, illettré, alcoolique et débauché, qui s’est emparé par le meurtre de la boulangerie de Kazan où il fut ouvrier, l’embauche pour l’hiver. Les employés mènent une vie bestiale, « écrasée et confuse », dans la crasse de l’atelier dont le narrateur décrit l’enfer en détail. Entre le patron qui ne connaît que la brutalité, les ouvriers prisonniers de la peur et de la fatalité, et le jeune homme qui croit au pouvoir libérateur du savoir contre « la force victorieuse de l’horreur quotidienne », se noue un rapport complexe fait d’attirance et de répulsion.
Loin du peuple, il y a le pouvoir absolu : « toute la terre est à Dieu, toute la Russie est au tsar ». Ils sont sourds tous les deux. Le tsar écrase dans le sang la moindre velléité de liberté et Dieu laisse crever ses créatures. Ils sont sourds aux prières, mais sourds aussi à la puissance du peuple qui balaiera bientôt Église et souverain.
La Russie, c’est le peuple russe. L’immense peuple russe, la masse innombrable des ouvriers illettrés, et parmi eux les paysans déracinés s’entassant dans l’abjecte misère des villes, underdogs puants, mal nourris, ivrognes, résignés, dociles à toutes les superstitions. Quelque chose entre l’homme et l’animal : Gorki les nomme souvent de noms de bêtes.
Sous l’œil aigu de Gorki chacun prend figure et dimension humaines. Tous, même les plus repoussants, sont nos semblables. Empathie, compassion, sans la moindre mièvrerie sentimentale. À la fin du Patron, le narrateur, maltraité tout un hiver par Vassili Séménof, dit de lui : « Je le plains à en souffrir, quel qu’il soit, je regrette la force qui périt sans porter de fruit, et cet homme-là fait naître en moi un sentiment passionné et contradictoire, comparable à celui qu’une mère éprouve pour son enfant : il faudrait le punir et on a envie de le caresser. »

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