Télérama • Laurent Rigoulet • TT
En 2016, un personnage endiablé tombait des cieux étoilés de la littérature américaine. Il était presque temps de le remarquer. Jim Tully (1886-1947) était l’un des romanciers les plus célèbres d’Amérique avant la Seconde Guerre mondiale. Un enfant des grands chemins, dur à cuire, fêtard, buveur, qui tailla sa route jusqu’à Hollywood où il épaula Chaplin et devint un journaliste à la plume particulièrement libre et acide. On l’a découvert ici avec Les Vagabonds de la vie, petit chef-d’œuvre brut d’une forme picaresque à l’américaine dont London et Kerouac poussèrent à fond la carburation. Les routes parcourues en toute liberté par Jim Tully, depuis l’enfance, étaient celles de la grande dépression, les chemins de fer de ses amis hobos qui fuyaient autant la poisse et la misère que les contraintes du labeur. Il avait mis en œuvre un « cycle des bas-fonds » et la critique souvent enthousiaste le compara à Gorki pour « sa capacité à illuminer les figures de pauvres et de désespérés ». Publié en 1931, Du sang sur la Lune, dernier volume de la saga, reprend la même piste rebelle et, avant de filer ses aventures, le romancier règle ses comptes avec ses censeurs, les « cartouches d’encre des soldats de la morale qui portent la vérité comme un masque ». Lui reproche-t-on de romancer sa vie ? Il jure que non : « La vie et ses pitoyables buts m’intéressent plus que la littérature. Chaque homme est une histoire éternelle — que son existence soit étroite comme une cellule de prison ou vaste comme celle de Balzac. » La sienne se répète, marquée par la figure de son fascinant grand-père, migrant de la faim. Les péripéties filent bon train entre rings de boxe et bordels, champs de foire et ateliers d’usine. Tully a un don singulier pour entretenir la tension, semer le danger et faire visiter au pas de course l’envers du décor d’une Amérique légendaire. Quand il met un point final à ce livre, il a 45 ans, il lui en reste seize à vivre, mais il peine à développer d’autres thèmes que ceux de ses errances et mourra dans la dèche aux premiers jours de l’été 1947.