Une immense… X. houssin

Xavier Houssin, Le Monde des livres

Le présent est devenu le seul temps qui compte. Il s’étire à l’infini comme une plaine gelée qu’aucune saison tiède ne réchauffera jamais. L’avenir ne s’ouvre à rien. Les lendemains sont barrés, inaccessibles. L’idée même d’espoir a ainsi été effacée. Quant au passé, il a sombré avec tout l’ancien monde. Et il n’en demeure pas une trace, pas un souvenir. Ce qui reste d’humain s’est réfugié dans un très grand oubli.
Pour son premier roman, Laurine Roux nous emmène dans un inquiétant univers. On comprend qu’une guerre soudaine a dévasté un pays et que les survivants se sont ensauvagés. La contrée est rude, couverte d’une forêt boréale accrochée à des montagnes hostiles. Percée de lacs profonds que continuent à geler d’éternels hivers. La minuscule société de rescapés qui s’y maintient se défend contre les bêtes, et aussi contre « les invisibles », menaçantes créatures qu’a produites le cataclysme.
D’emblée, on pourrait croire qu’Une immense sensation de calme est un texte dans la veine de toute cette série de romans post-apocalyptiques qui court de La Peste écarlate, de Jack London (1924 ; Actes Sud, 2001), à La Route, de Cormac McCarthy (L’Olivier, 2008). Mais l’événement destructeur se trouve assez vite relégué à un simple argument. Ce qui porte ce livre étrange et envoûtant est une histoire d’amour.

D’étranges métamorphoses
« À présent il faut que je raconte comment Igor est entré dans ma vie. » Cette toute première phrase ressemble à s’y méprendre au « Il était une fois » qui commence les contes. La jeune narratrice, dont on ne saura pas le nom, a été recueillie à la mort de sa grand-mère par une famille de pêcheurs. Chez eux, elle a appris à creuser des trous dans la glace des lacs pour hameçonner les carpes, à remonter les nasses, à sécher les poissons. Et voilà qu’elle rencontre un homme qui l’emporte dans sa fuite animale. Un homme-loup ou renard. Celui qu’elle attendait. Avec lui, elle ira jusqu’aux confins du monde. Bravant la douleur, les maléfices, les peurs.
Comme dans tous les contes, il y a des sorcières, des enfants malheureux, d’étranges métamorphoses. Des paroles magiques et des philtres miraculeux. Laurine Roux va puiser dans les légendes de l’Est, le folklore russe, les mythologies bulgares. Elle s’en empare et les mêle à une troublante intimité des sentiments, des élans, des sensations. Ce qu’elle livre ici est une pulsation sensible. Une histoire de femme. Du début à la fin. « Cela dure un instant ou de longues minutes, je ne saurais le dire car le temps vient de s’abstraire du monde. Le regard d’Igor abolit mon être. Il m’absorbe et arase toute autre réaction qu’un immense afflux de sang. Partout dans mon corps mille particules soulèvent mes membres, et c’est à la fois de la peur et de la glace, du miel et de la lavande. »
La nature, dans ce livre, est un personnage entier. Avec sa flore et son bestiaire. Souvent hostile, serrant les êtres dans son étau d’hiver. Mais on y trouve des pistes, des chemins pour s’échapper. La jeune fille et Igor sont des Poucet égarés en forêt. Le conte est noir s’il ne finit pas bien. Qui peut en décider ? Dans Une immense sensation de calme, la noirceur s’apprivoise. Elle se révèle en nuit, tombant presque apaisante sur le monde déchiré. Les chagrins, la peine et les cauchemars d’enfants.

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