Jean-Rémi Barland, La Provence
Certaines vies s’apparentent à des chemins de croix. Celle de Robert Schumann par exemple. Pas le Schuman (avec un seul N) fondateur parmi d’autres de l’Europe d’après-guerre mais le compositeur né en 1810 et mort en 1856. Son existence qui se confondit avec ses graves crises nerveuses fut particulièrement éprouvante pour lui et les siens. Être de génie, nourri d’un romantisme créatif, il eut huit enfants avec Clara Wieck, qui deviendra son épouse le 12 septembre 1840 après une longue bataille juridique, le père de la future mariée s’opposant à cette union, allant jusqu’à utiliser la diffamation contre le musicien.
Évoquer le destin des huit descendants du couple Schumann, c’est aussi raconter douleurs et drames et surtout morts prématurés de jeunes innocents arrachés à l’affection de leurs parents.
C’est aussi narrer la puissance de caractère de certains d’entre eux, comme Marie (1841-1929), l’aînée morte à quatre-vingt-huit ans sans petits-enfants ou enfants, quittant ce monde seule cloîtrée dans un chalet qu’elle s’était fait construire en Suisse. C’est elle qui dès l’adolescence se dévoua entièrement à sa mère Clara et, pour la soulager, à ses frères et sœurs. Elle fut la deuxième maman d’Eugénie (1851-1938) et de Félix (1854-1879), qui mourut dans ses bras et fut une sorte de secrétaire de sa mère, immense pianiste à la carrière internationale. La nostalgie de l’enfance perdue.
Avec beaucoup d’intelligence, et une écriture qui se fait sonate pour montrer sans démonstration bavarde, Nicolas Cavaillès signe avec Les Huit Enfants Schumann un récit bouleversant où la vie du couple est présentée au travers de leurs rapports strictement familiaux.
Schumann vu par les destins croisés de ses enfants, voilà une idée de romancier et l’auteur, Prix Goncourt de la Nouvelle en 2014 pour Vie de monsieur Leguat saisit la psychologie d’un personnage d’un trait de plume, d’une simple phrase porteuse d’images. Très visuel, le style de l’auteur nous enveloppe dans un monde à la fois réel et fantasmé, où l’on croit entendre la musique de Schumann.
Les rapports avec Brahms, grand ami de Clara nous émeuvent, tout comme la manière dont Nicolas Cavaillès signale avec pudeur la mort de chacun des descendants du couple. Et puis il y a peut-être la plus belle leçon esthétique du récit, cette remarque de Nicolas Cavaillès reliant ainsi la vie de Schumann à sa musique : « Il y a ainsi dans l’œuvre du musicien, non seulement une dramatique nostalgie de l’enfance perdue, mais une profonde empathie profonde pour les enfants eux-mêmes. »
On pourra écouter alors les treize pièces pour piano des Scènes d’enfants avec des oreilles neuves. Un livre qui fait aimer la littérature et la musique.