Guillaume Tion, Next/Libération
De Schumann on connaît la musique, la vie sentimentale avec Clara, la relation avec Brahms, la fin à l’asile et on s’interroge toujours sur ses enfants, dont le destin entraperçu au gré des biographies du compositeur fait froid dans le dos. Nicolas Cavaillès retrace aujourd’hui, aux Éditions du Sonneur, la vie de ces huit personnages cachés dans le décor du maître romantique et de sa femme, car Robert est mort bien tôt pour sa marmaille, qui a essentiellement connu Clara.
L’« infortune familiale » telle que décrite ici, ce sont des tuberculoses, des internements, des maladies des articulations, un vaste parcours d’hospice en asile dominé par la figure sèche de Clara, pianiste virtuose, mère peu aimable qui surnomme son Ludwig presque aveugle « l’enterré vivant » et, selon Cavaillès, « ne perçut peut-être jamais les enfants que comme des adultes de petite taille, mal dégrossis »… En treize chapitres étroits qui se lisent d’une traite, Cavaillès, jadis lauréat du Goncourt de la nouvelle, remonte la cohorte des malheurs, s’apitoyant parfois en s’appuyant sur de longues phrases à multiples incises, fasciné par la somme de malheurs, brisant à d’autres les élans de la pitié au profit d’une plume abrupte. De Julie, « jeune comtesse doucement rebelle, auréolée de sa morbidité » à Ferdinand, « père aimant et attentif, il fut délaissé par tous et n’eut sur son lit de mort que son épouse à ses côtés », en passant par Émile mort à seize mois, « il naquit misérable, ne rit jamais, recracha souvent le lait de la vie », l’auteur offre un panorama vertigineux des fatalités de l’existence.
Cette nécro familiale laisse le lecteur sur deux interrogations : le romantisme maladif de Schumann était-il une cause ou une conséquence de ce barnum d’infélicité ? Y a-t-il une correspondance occulte entre la souffrance de la création musicale, qui emporta Schumann, et la souffrance endurée par ces autres créations du compositeur et de sa femme, leurs enfants ?