Gérard Guégan, Sud-Ouest
Une fois qu’on a lu La Jument de Socrate, lu sans en sauter une seule ligne, on est bien incapable de dire ce qu’il y a de vrai ou d’invraisemblable dans ce court : roman d’Elisabeth Laureau-Daull. Qu’importe d’ailleurs, puisqu’on a été, tout du long, incapable de la moindre réserve. Le sujet, bien sûr, n’y est pas étranger. À quelques heures de la mort de Socrate, condamné à boire la ciguë, son épouse, Xanthippe, qui refuse la sanction, décide de changer le cours du destin. Ce sera, nous le savons, une tentative vouée à l’échec, car le philosophe, qui n’a jamais écrit un traître mot, doit mourir, et mourra, sans doute pour avoir eu la langue bien pendue. Mais qui donc, alors, est cette jument à laquelle l’« accoucheur de vérités » se voit ici associé ? Eh bien, c’est Xanthippe dont le nom grec se traduit par « jument jaune ». Platon, le disciple, la comparera à une encombrante pleurnicheuse, voire à une mégère. On l’a cru, et on se trompait. Lourdement.
Sous la plume, mieux attentionnée, et autrement subtile, d’Élisabeth Laureau-Daull, Xanthippe se révèle être un tout autre personnage. « Elle a 37 ans, Socrate en a 70. Il pourrait être son père. Il est ridé et blanchi mais, pour un sage, ça ne tire pas à conséquence. Pour elle, les années ont compté double. Allez donc, sans dommages, élever trois petits en vous inquiétant chaque jour de leur subsistance dont le père n’a aucun souci. »
Grâce à ce rapide exposé, le lecteur pressent que ce qui va suivre ne ressemblera pas à une de ces imitations de l’antique si souvent exaspérantes. Pas de ça avec Élisabeth Laureau-Daull. Fuyant les tournures alambiquées et les sentiments empesés, elle n’est pas sans nous rappeler un illustre prédécesseur, Jean Giono, et sa Naissance de l’Odyssée. Elle aussi, elle possède cette liberté de ton qui est l’apanage des écrivains se souciant avant tout d’être au plus près du motif. Si bien, répétons-le, qu’on dévore sa prose.