Gérard Guégan, Sud-Ouest

Gérard Guégan, Sud-Ouest

Les poètes surpassent les sociologues, qui se satisfont trop souvent de commenter ce que le premier venu peut observer de sa fenêtre. Visionnaires, les poètes pressentent le futur sous le présent et l’expriment dans une langue qui nous fait pénétrer au cœur des choses. Vladimir Maïakovski (1893-1930) fut l’un de ceux-là. À cela près qu’au contraire de Blok et d’Essenine, ses contemporains, qui disparaissent l’un en 1919 et l’autre en 1925, il voulait se persuader que le bolchevisme était l’horizon indépassable de la création poétique. Staline se chargea de le désillusionner. En 1925, à cinq ans de son suicide, Maïakovski s’embarque pour Cuba et le Mexique, d’où il entrera aux États-Unis. Bien sûr, il n’arrête pas d’écrire,et tient son «journal » qui paraîtra sous le titre «Ma découverte de l’Amérique ». Dès les premières lignes, la fulgurance est là : « L’océan est une affaire d’imagination. […] L’océan est lassant, mais sans lui on s’ennuie.» En deux phrases, lui, qui n’a jamais navigué, le voici l’égal d’un Stevenson et d’un Whitman. il n’abandonne aucune de ses convictions, comme en témoigne sa description de la vie à bord de ce paquebot. Il a l’œil sévère et la dent dure. Une attitude dont il ne se départira pas une fois à pied d’œuvre dans une Amérique convaincue que les« beaux jours» ne finiront jamais. Partout on construit, partout on s’agite, partout, grâce au crédit, chacun essaie de s’enrichir. Et personne ne se doute que dans quatre ans surviendra la grande crise. Enthousiasmé par le dynamisme ambiant mais jamais dupe de ce qu’il suppose être le triomphe des plus forts, Maïakovski alterne les contrastes.« Un pays qui mange pour un million de dollars de crèmes glacées par an » ne peut être avare, même si « le dollar est Dieu ». Souvent surprenant, toujours trépidant,« Ma découverte de l’Amérique» se lit au grand galop.

Lettre d'information

Inscrivez-vous à notre lettre d’information pour être tenu au courant de nos publications et des manifestations auxquelles nous participons.