François Forestier, Le Nouvel Observateur

François Forestier, Le Nouvel Observateur
En 1931, Chaplin a mauvaise presse aux États-Unis. Il divorce pour la deuxième fois — divorce sale, scandaleux. Son épouse Lita Grey fait savoir publiquement que son mari lui a demandé de jouer un air de flûte enchantée — un acte obscène et totalement dégradant, signe d’une perversité abominable. Les bonnes âmes sont choquées. Chaplin est, selon la National Legion of Decency, « un dégénéré ». Abattu, inquiet aussi de voir que le cinéma devient parlant, Chaplin s’embarque pour un voyage de promotion. Il va profiter de la sortie des Lumières de la ville pour voir le monde. Le 13 février 1931, il s’embarque sur le Mauretania. À peine arrivé en Angleterre, Chaplin est invité partout : il rencontre « l’honorable Winston Churchill », évoque « la révolution future », bavarde avec Lloyd George, part sur les traces de son père décédé (qu’il n’a presque pas connu), et, face à des ouvriers qui lui serrent la main : « Je suis l’un d’entre vous », dit-il. A jolly goodfellow, donc.
Il part en Allemagne. La crise a frappé de plein fouet : à Berlin, il voit des cohortes de chômeurs, salue Mariene Dietrich, prend le thé avec Einstein, et se rend compte que les nazis sont déjà à l’œuvre contre les juifs. Or, depuis toujours, Chaplin est soupçonné d’être « de la race maudite ». Quand on lui demande « s’il en est », il répond : « Je n’ai pas cet honneur. »
De retour à Londres, il fait la connaissance de Gandhi, qui n’a jamais vu un film de Charlot, mais qui désire s’entretenir avec lui. Chaplin visite son ancien orphelinat, où, le cœur serré, il distribue des bonbons aux enfants.
En France, il boit un verre avec Aristide Briand, « petit homme aux épaules arrondies », va aux Folies-Bergère, séduit une danseuse, May Reeves (de son vrai nom Mitzi Müller).
Il fait route pour Bali, où il rencontre le peintre Walter Spies, l’amant de Murnau, le cinéaste génial de Nosferatu, et file au Japon, où les énervés d’extrême-droite le menacent. Pour The Woman’s Home Companion, il écrit : « J’ai vu de la nourriture pourrir devant des gens affamés, des millions de chômeurs sans avenir… » Il joue avec l’idée de faire de la politique. Kate Guyonvarch, directrice de l’Association Chaplin, en est convaincue : « Il songeait réellement à œuvrer pour le bien de l’humanité. » Le 14 octobre 1931, des journaux, dont le Los Angeles Examiner, annoncent : « Chaplin pourrait quitter Hollywood pour le Parlement. » Pourquoi pas ? Rêvons un peu : Charlot Premier ministre du gouvernement de Sa Gracieuse Majesté … Dans Mon tour du monde, il réclame pour les travailleurs « des heures plus courtes et un salaire décent ». Bon programme.

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