Franck Delorieux, Les Lettres françaises
Les articles ou ouvrages de reporter de Roger Vailland possèdent des qualités littéraires dignes de ses romans. Il n’est qu’à lire Boroboudour, voyage à Bali, Java et autres îles pour s’en convaincre. Dédié à son épouse Élisabeth Naldi […], ce récit de voyage brasse, dans un même élan, le strict récit de ses journées à la manière d’un journal intime, des réflexions historiques, politiques et économiques, une dénonciation du colonialisme, des descriptions des paysages, des temples, des palais et l’exposé de son rêve touchant l’avenir des individus. On sait que pour lui le but du communisme, comme il l’exposa à Élisabeth, est un monde où « l’homme sera tellement en possession de lui-même qu’il sera libertin, apte à tous les plaisirs, c’est-à-dire souverain ». Ce désir, cette volonté, ce rêve, il le reprend en contemplant les champs en terrasse creusés dans une végétation luxuriante, les seins parfaits des femmes, les coupoles du temple de Boroboudour : « J’ai rêvé des bergères devenues reines en train de jouer sur les terrasses de Boroboudour, et c’étaient bien des reines que je voyais, chacune aussi singulière que seule la reine pouvait l’être, autant de variétés, d’espèces, de familles, de genres de reines qu’il y a de créatures humaines, des reines aussi différentes des reines du passé que la licorne de tous les animaux sauvages ou domestiques, connus ou inconnus, créés ou imaginés. » Boroboudour peut se lire, aussi, comme un précis de bonheur et de politique du bonheur.