Eric Belloc, Le Figaro littéraire
Oiseaux migrateurs
Cheminot et chanteur, issu d’un Piémont où l’on chantait Bella Ciao, auteur de huit disques qui l’ont fait comparer à un Brassens transalpin, Gianmaria Testa est mort en 2016. Quelques mois plus tôt, alors qu’il se sait condamné, il reprend les titres de Da questa parte del mare, album consacré au thème des migrations. Ces textes engagés – « En l’espace de deux générations, les Italiens ont oublié que c’était eux qui, jadis, partaient à l’étranger » –, il les intercale de courts récits qui évoquent les circonstances de leur écriture. On y croise Erri De Luca, qui signe la préface et avec qui il avait partagé en 2008 la scène pour un mémorable Quichotte et les Invincibles. On y retrouve Jean-Claude Izzo, qui a écrit pour lui La Plage du Prophète. Des amis qui partagent une même foi dans le pouvoir de résistance des mots. Ceux de Testa font revivre les émotions de l’enfant des années 1960 découvrant « le goût du fer » de Turin ou interrogent les réactions de l’adulte coincé à un feu rouge face à un laveur de pare-brise. Le sentiment d’intrusion dans ce qu’il considère comme son territoire. Parabole qui réinvente la nécessité du partage, insuffisant à réparer l’injustice mais à même d’ébranler notre indifférence de nantis. Du côté des malmenés, des déracinés, des « oiseaux migrateurs », la voix du cantautore invente pour eux des moments de dignité.