Emmanuel Hecht, L’Express

Emmanuel Hecht, L’Express

Il faut lire les reportages de guerre et les récits de voyages de l’épouse d’Hemingway, pour découvrir une légende de la presse américaine.
Elle a les traits de Nicole Kidman dans Hemingway & Gellhorn (2012), film de Philip Kaufman avec Clive Owen. Pour qui sonne le glas lui est dédié. Pendant cinq ans, elle fut Mme Hemingway. C’est à peu près tout ce que l’on sait d’elle en France. La publication coup sur coup de deux recueils, La Guerre de face et Mes saisons en enfer, tombe à pic pour faire la connaissance de Martha Gellhorn (1908-1998), une des premières correspondantes de guerre. Femme de tête et de courage. Grande dame.
« Ma vie commença en février 1930 », écrira-t-elle à propos de son départ pour la France sur un navire de la Holland America Line, avec deux petites valises, une machine à écrire Underwood et 75 dollars en poche. Elle n’a pas 22 ans et se lance à la conquête du monde. Mais, pour l’état civil, elle naît en 1908 à Saint-Louis (Missouri), dans le foyer du Dr George Gellhorn et de sa femme, Edna, militante des droits civiques. À 21 ans, elle arrête ses études, dégote un stage d’été dans un hebdomadaire et persévère malgré de sacrés problèmes d’orthographe. À Paris, elle propose sans vergogne d’être la correspondante du New York Times. Elle sera mannequin. Elle a une liaison tumultueuse avec Bertrand de Jouvenel. Retour aux États-Unis, où elle trouve sa voie, le grand reportage, en menant des enquêtes pour l’administration Roosevelt sur les laissés-pour-compte de la Grande Dépression. Elle en tire un livre, couvert d’éloges.
Mais c’est deux ans plus tard, en 1936, que sa vie bascule : alors qu’elle passe en famille les fêtes de fin d’année à Key West, en Floride, elle rencontre Ernest Uemingway, forcément dans un bar, le Sloppy Joe’s. L’aficionado au faîte de la gloire depuis la parution du Soleil se lève aussi s’apprête à repartir en Espagne pour couvrir la guerre civile. Accréditée par le magazine Collier’s, elle le retrouve à Madrid. Ils deviennent amants à l’hôtel Florida. Elle publie son premier reportage de guerre : « A Madrid, seuls les obus gémissent. » Un style est né, laconique, distancié, plein d’humour. À la fin de 1940, mariage. Ernest et Martha ont droit à six pages de photos de Robert Capa dans Life. Lui aussi forma un couple de légende avec la photographe de guerre Gerda Taro, morte écrasée par un char républicain.
Partout où le monde vacille, Martha Gellhorn est là : la Tchécoslovaquie des accords de Munich, la Finlande de l’invasion russe, la Chine de la guerre contre le Japon, la Seconde Guerre mondiale, de Paris à Dachau, via le Monte Cassino et les Ardennes. À La Havane, Hemingway finit par être jaloux. « Es-tu une correspondante de guerre ou une femme dans mon lit ? » Ils divorcent en 1945. C’est le prix à payer pour celle qui a refusé d’être « une note en bas de page dans la vie de quelqu’un d’autre ». Jusqu’à son dernier souffle elle arpente le champ de bataille. « Le seul aspect de nos voyages capable à coup sûr de capter l’attention du public, c’est le désastre. » Vietnam, guerre des Six-Jours, Salvador, Nicaragua, Panama… À 80 ans elle se désole de ne pouvoir couvrir la guerre de Bosnie mais elle part au Brésil enquêter sur les meurtres d’enfants. Malade, elle se suicide à Londres en 1998. Quinze ans après un autre grand témoin du siècle, Arthur Koestler.

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