Édith de La Héronnière, La Revue des Deux Mondes

Édith de La Héronnière, La Revue des Deux Mondes
Un divorce épineux et des difficultés avec le fisc américain poussent Charlie Chaplin en février 1931 à réaliser un voyage en Europe. Les Lumières de la ville viennent de sortir en salle et connaissent un succès immense. Le cinéaste est au faîte de sa gloire. Pourtant il prend la tangente. Et ce voyage qui devait durer quelques semaines s’étire, se transforme, au fil des invitations et des occasions, en véritable tour du monde. Où qu’il aille, Chaplin est attendu par une foule d’admirateurs qui l’entourent, l’étouffent et le portent en triomphe, ce qui a pour effet de l’enchanter et par moments de le terrifier. Son périple commence par l’Angleterre. À Londres, il désire revoir l’orphelinat où il passa, de 5 à 7 ans, les années les plus malheureuses de sa vie. Il réalise aussi un rêve d’enfant : s’acheter des pyjamas criards. Il dîne avec Bernard Shaw ; invité chez les Einstein, il apprend la façon cocasse dont le savant découvrit les lois de la relativité, il rencontre Lloyd George, Lady Astor, Churchill chez lui, à Westerham dans le Kent. Puis il s’enfuit à Berlin, où il prend le thé avec Marlène Dietrich. Vienne et ses cabarets l’insupportent, Venise l’enchante. En France, il est invité à une chasse en Normandie chez le duc de Westminster (chasse épique s’il en est !), il assiste horrifié à une corrida à Biarritz ; à Londres il discute avec Gandhi à propos de son refus des machines qui soulagent le travail de l’homme et la réponse du Mahatma ne le convainc guère ;  à Saint-Moritz, il fait ses débuts à ski, ce qui donne une scène du genre « Charlot fait du ski ». Un an plus tard, il songe à rentrer en Amérique, sans se presser, par Ceylan, Java où il découvre l’usage de la « Dutch wife », Bali, et enfin le Japon. Au terme du voyage, il a atteint son but : « J’ai réinvesti le passé et reconquis ma jeunesse. » Il a aussi observé le monde tel qu’il est en train de changer et cela nourrira son œuvre à venir. Si Chaplin cède assez facilement au name dropping, ce n’est jamais en se prenant au sérieux. Car il reste tel qu’il est dans ses films, incapable de jouer le jeu social, mais désireux pourtant de faire bonne figure au milieu des grands de ce monde et toujours rattrapé par son extrême sensibilité et cette ingénuité qui fait son génie. Au fil des pages, on apprend comment il en vint à faire du cinéma à cause d’un rendez-vous raté, comment il choisit un jour par hasard le costume qui allait l’immortaliser. Il traverse la vie comme son personnage, narguant les autorités, inventant des stratagèmes pour ne pas répondre aux interviews idiots ou pour prendre la fuite lorsqu’il se sent dépassé par la situation.

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