Christian Chavagneux, Alternatives économiques

Christian Chavagneux, Alternatives économiques

Lorsqu’on souhaite comprendre les ressorts de la spéculation financière sans tomber dans la technique économique, L’Argent, le célèbre roman d’Émile Zola, s’impose comme une référence incontournable. On y voit le rôle de la psychologie des acteurs, celui des fraudes, de la mauvaise gouvernance des banques, le rôle des cycles de crises financières, etc.
Il faudra désormais y ajouter le magnifique livre de l’écrivain américain Frank Norris, publié en 1903 et qui vient — enfin ! — d’être traduit en français. Il y raconte les amours de Laura Dearborn et Curtis Jadwin, un spéculateur enrichi mais assagi, qui a décidé de vivre le restant de sa vie de manière paisible. Malheureusement, l’attrait du jeu le pousse à spéculer une dernière fois.
Il tente un coup très en vogue à la fin du dix-neuvième siècle, un corner. Le principe en est simple : anticipant une forte demande de blé, Jadwin en achète à l’avance le plus possible pour pouvoir maîtriser le marché et fixer son prix lorsque la demande se matérialisera effectivement. Problème : plus la spéculation avance, plus la demande importante du spéculateur tire les prix vers le haut, et plus le jeu devient coûteux. Il ne faut donc pas se tromper, car les risques sont énormes. Frank Norris décrit avec une grande justesse les mécanismes et l’excitation de la spéculation, comme lorsque Jadwin explique que « c’est un jeu de riches. Il ne procure aucun plaisir si tu ne peux pas risquer plus que tu ne peux te permettre de perdre ! »
Aux qualités littéraires du roman de Frank Norris et à la finesse de sa description d’une spéculation sur le marché de Chicago, s’ajoute également une forme de prémonition. Car l’élément déclencheur de la panique financière qui va toucher les États-Unis quatre ans plus tard, lors de la célèbre crise de 1907, sera un autre corner, loupé cette fois, sur les actions d’une entreprise de production de cuivre !
Comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, on peut prolonger le plaisir avec la republication d’un autre roman de Norris, Les Rapaces, qui décrit minutieusement la façon dont plusieurs personnages voient leur vie broyée par leur quête éperdue d’argent. On est envoûté par ce livre, qui comporte plusieurs scènes fascinantes et un final magnifique. Bref, il faut absolument lire Frank Norris !

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