Veneranda Paladino, Reflets, Dernières Nouvelles d’Alsace
Journaliste, écrivain et scénariste, Pierre-François Moreau se glisse dans la tête du photographe de guerre Robert Capa qui transcende la mort de son aimée, Gerda Taro, en création artistique.
DEATH IN THE MAKING. Direct, tel un coup de poing à l’estomac, résonne le titre anglais du livre qu’élabore le photographe Robert Capa pour sa bien aimée Gerda Taro. La grande offensive de Brunette près de Madrid brise le destin exceptionnel de sa bien aimée en ce mois de juillet 1937. Débarqué à New York, Capa envisage de lui dresser ce tombeau livresque et de rendre justice au talent, à l’engagement tant moral que physique de « son alouette de Brunette ».
La mort est partout en Espagne, la guerre civile a déjà fait 500 000 victimes en un an, à l’été 1937. Gerda Taro de son vrai nom Gerta Pohorylle meurt à l’âge de 27 ans. Armée de son Leica, elle photographiait la résistance farouche des Républicains quand un char la fauche.
C’est à Paris en 1934 à la terrasse du Dôme qu’elle rencontre celui qui s’appelle encore André Friedmann et qui va se forger une légende de photographe de guerre. Il a quitté la Hongrie nationaliste de Horthy pour Berlin avant d’arriver dans la capitale française. Elle a délaissé sa ville natale de Stuttgart pour Leipzig où elle a connu la prison avant de venir en France. « Deux exilés lâchés au milieu des autres dans l’hostilité ambiante, la pénurie, sans parler des emplois soumis à la préférence nationale. Dois-je dire qu’elle m’a fait languir », écrit Pierre-François Moreau. « Gerda m’a fasciné par le contraste de sa joliesse suave de poupée de luxe et sa maturité distante de bourgeoise cultivée ».
À Paris, Gerda partage l’appartement d’un ami photographe Fred Stein chez qui elle va aider Capa à développer ses négatifs des images prises en Espagne, en 1935.
« Je suis mort mais je m’obstine, dit un refrain irlandais… Ma légende a une haleine chargée et mon regard divague. Une gueule de livre de condoléances. À 23 ans, déjà vieux, déjà veuf ». Tout à la fois avec délicatesse empathique et grande vigueur, l’écrivain Pierre-François Moreau ventriloque Robert Capa. En se glissant dans la tête d’un homme s’accrochant à la rançon de sa célébrité tel un paquebot ivre, l’auteur restitue la force de l’engagement, l’énergie vitale de Gerda. Que la postérité jusqu’à peu a laissée dans l’ombre de Capa. Et pourtant c’est elle qui le pousse à changer de nom, lui soufflant de s’appeler Robert. « Robert requin, Robert Capa, photographe américain »…
L’homme est meurtri par l’inanité du destin, sa bien aimée meurt alors qu’il était à Paris. C’est à Ted, le commissaire politique de la Blood Unit, qu’il avait confié Gerda.
Munie d’une carte de presse, Gerda suit Capa en reportage dès février 1936. Sur le terrain, Gerda apprend vite, elle signe de remarquables images de la première victoire des Républicains à Guadalajara, près de Madrid. Les reportages publiés dans les magazines Vu et Regards, le quotidien Ce soir dont Capa devient le photographe officiel sont signés au mieux Capa & Taro, ou simplement Capa.
À l‘évocation vibrante de la guerre, une sale affaire « et quoiqu’on en dise on reste en-dessous de la vérité », l’auteur met en perspective la fabrique des images, de la fiction. Notamment celle du Milicien tombant de Capa, mise en scène et devenue l’icône anarcho-pacifiste. Ou encore les écrits d’Ernest Hemingway qui s’arrangent avec la vérité. On croise dans cette fresque humaine, Aragon, Hemingway, André Kertész, Joris Ivens, les personnalités qui ont assisté au Congrès international des écrivains Malraux, Neruda, Tzara, etc.
C’est un Capa saisi par l’aveuglement de sa passion que met en scène Pierre-François Moreau. Qui le fait parler, penser au long d’un vertigineux examen de conscience. Mettant aussi en relief les failles de « l’embrouilleur de génie » et les difficultés d’une femme à imposer son talent dans un monde d’hommes.