Anne-Marie Mitchell, La Marseillaise
Notre passion du livre ancien fait que nous avons dans notre bibliothèque celui écrit en 1933 par Carlyle T. Robinson, le secrétaire particulier du vagabond le plus célèbre, viré comme un malpropre par ce dernier : La Vérité sur Charlie Chaplin. Pas vraiment rancunier, Robinson nous permet de découvrir un comédien acharné à défendre la pantomime et le cinéma muet (où l’imagination des spectateurs supplée aux paroles absentes), mais aussi un homme (ce qui ne l’empêche pas de lui garder une fidélité admirative) plutôt muflard dans ses relations avec les autres, toujours prêt à s’enticher du premier jupon qui passe et à l’ambition) quelque peu démesurée (ne rêva-t-il pas d’incarner Hamlet, Napoléon et Jésus-Christ ?) Après tout, nul n’est irréprochable et la fierté inspirée par une juste confiance en soi est des plus compréhensibles. Mais si nous avons pensé devoir citer ce livre, c’est parce qu’il y est question du séjour de l’artiste en Europe et particulièrement sur la Côte-d’Azur. Séjour effectué en 1931, alors qu’il vient d’achever Les Lumières de la ville, et raconté par Chaplin dans Mon Tour du monde publié pour la première fois en France, à l’occasion du centenaire de la création du personnage de Charlot, dont la démarche de pingouin l’amena au sommet d’une gloire internationale. Récit dans lequel nous retrouvons les qualités et les défauts, ouvertement avoués par un comédien décidé à veiller sur ses lauriers, à ne pas se laisser distraire de son travail, malgré ses déboires personnels, l’avènement du parlant, les désillusions de la renommée et de la fortune. « L’amour et les gens me lassent. Je veux revivre ma jeunesse, saisir à nouveau les atmosphères et les sensations de l’enfance. J’ai besoin de remonter le temps. » Et quoi de plus salutaire que de faire un tour du monde pour échapper à cette lassitude, quitte à affronter, dans toutes les villes où il demeure quelques jours ou quelques semaines, l’assaut des appareils photo « devant une foule déchaînée que la police a bien du mal à contenir. » Même si nous le suivons dans ses visites chez les plus grands de ce monde (la plupart conservateurs), nous ne pouvons qu’être touchés en le voyant s’apitoyer sur le peuple londonien défavorisé (dont il est issu), ou en l’entendant proposer, à l’occasion d’un dîner à la Chambre des Communes, le contrôle des profits, la réduction du temps de travail et la mise en place d’un salaire minimum. Nous partageons de même son inquiétude lorsqu’il se fait le témoin, en Allemagne, d’un avenir qui s’annonce des plus sombres. Un livre passionnant qui pétille d’anecdotes et d’observations.