Anne-Francoise Kavauvea, De seuil en seuil
Le titre du beau roman de Tabish Khaïr publié aux Editions du Sonneur est étrange : Apaiser la poussière… La poussière est celle que soulève le bus qui relie Gaya à Phansa, dans l’état du Bihar: pour l’ »apaiser », un geste inlassablement reproduit par ce marchand de mithais, dont la boutique,au bord de la route, offre aux voyageurs le réconfort de confiseries, ces tilkuts au sésame dont la pâte s’enroule et s’entortille autour d’un poteau en bois. L’effort constamment répété a pour but de figer la petite tornade suscitée par le passage du véhicule. Il ne s’agit pas de protéger la pâte de sésame pilé qui set de base à la friandise : l’homme sait bien que c’est impossible. Mais le monde doit retrouver son agencement originel, chaque grain reprendre sa place, pour s’opposer tant bien que mal à la menace du désordre. Tentative dérisoire.
Le roman de Tabish Khaïr, le premier que nous puissions lire en français (dans la belle traduction de Blandine Longre) nous entraîne dans un périple étonnant, de « Chez-soi » à « Chez-soi », voyage à l’itinéraire plein d’imprévus, de rencontres de hasard, dont le trajet réglé d’avance s’adapte aux impondérables de l’existence. Le bus conduit par Mangal Singh constitue un microcosme improbable où se croisent des destins disparates. […] Différents narrateurs prennent en charge le récit, et le roman éclate ainsi en une multitude d’histoires, nous confrontant à toutes les classes sociales, mais aussi à tous les registres, du drame à la comédie, de la nostalgie à la tragédie. Une mosaïque bigarrée naît de ces éclats rassemblés, à l’image d’une société à la fois composite et, d’une certaine façon, solidaire.