Anne Bert, Salon littéraire

Anne Bert, Salon littéraire

Mousseline et ses doubles redonne ses lettres de noblesse aux mots populaire et terroir. C’est d’ailleurs sans doute plus un roman de territoires que de terroir : les époques traversées, la géographie, la topographie, collectives et individuelles, celles des terres et du bitume, des logis, des chez soi, mais aussi celles des corps et des cœurs, tous ces espaces explorés donnent son sens et sa densité à ce récit familial identitaire.
Mousseline, l’héroïne provinciale quitte son père pour monter à Paris voir le bébé de son frère jumeau. C’est la découverte de Paris dans les années 1950, ses odeurs et ses rues, ses gens et ses quartiers. En musardant, Mousseline se découvre aussi.
Il y a un petit quelque chose de Zazie chez la jeune femme qui court la capitale toute seule, plan à la main et s’extasie et s’étonne, et s’étourdit lorsqu’elle prend le métro ou déambule sur les trottoirs.
La sage Mousseline se grise et chaque jour élargit le champ de son exploration, jusqu’au cimetière du Père-Lachaise où elle rencontre un homme très singulier, Joseph. Un homme qui commerce avec les morts et le bois et lui apprend ce que sont l’art et la littérature. Un homme qui va devenir son Joseph, comme elle aime le dire, le possessif la réchauffe et l’échauffe.
Mousseline est amoureuse et si le hasard lui a été doux en le mettant sur son chemin le destin sera cruel en lui ôtant brutalement de ses bras. Elle qui voulait tant voir la mer, cette mer qui se serait faite mère pour elle, lui avait promis Joseph.
L’histoire de Joseph et de Mousseline est le pilier de ce roman mais d’autres s’y mêlent, celle de Mousseline et de son neveu Michel qu’elle va vouloir, puis devoir élever, le destin ayant encore une fois cruellement frappé. Les êtres chers à Mousseline ne font pas vieux os.
Le neveu est le portrait craché de la mère de Mousseline, morte à sa naissance, tout le monde le dit tellement c’est fascinant, alors lorsque Mousseline le regarde téter, elle regarde sa mère téter, aimantée.
Et les identités se floutent. Comme celle de Michel qui se construira tout contre sa tante et dans l’ombre de Joseph disparu, dont il devra s’émanciper.
Lionel-Édouard Martin ne s’embarrasse d’aucun formalisme, d’aucun formatage, il donne à ses phrases et à ses mots un rythme libre et une saveur qui éveillent les cinq sens. Ca cause titi parisien et régional, les mots viennent du cœur et du ventre.
La narration qui s’étire sur cinquante ans est à double sens, le narrateur est le neveu, puis Mousseline ; ils se répondent sans se ménager, s’emparent du récit, l’abandonnent, y reviennent sans que les chapitres ne sectionnent l’échange. Du je on passe au tu. Ce procédé rapproche le lecteur des scènes, le laisse pénétrer leur histoire et les points du vue.
Quant au rares dialogues entre Joseph et Mousseline, ils sont délicieux, jeux de mots, d’esprit, poésie à l’état de pure prose.
Il y a dans ce roman autant de gouaille que d’élégance, d’élan que de retenue, de solitude que de partage, et beaucoup d’amour qui se planque pudiquement. Voilà un bien joli moment de littérature !

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