Aline Sirba, Onlalu.com

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Dans Les Eaux de la colère, la romancière américaine Anne Roiphe transforme un épisode avéré du progrès scientifique en roman d’aventures, grâce à la magie d’une écriture où elle dose avec maestria tous les ingrédients du genre.
Alerté par l’épidémie de choléra qui se déclare à Alexandrie en 1883, Louis Pasteur y dépêche trois scientifiques, afin qu’ils identifient la bactérie responsable de centaines de morts, et ce avant le célèbre médecin allemand Robert Koch déjà sur place. Principal port d’Égypte, Alexandrie est un véritable carrefour commercial et culturel, doté d’une société riche, brillante et cosmopolite. Lorsque Louis Thuillier, Émile Roux et Edmond Nocard y accostent, ils sont accueillis avec égards par le consulat français et le Comité de Salut public dont le docteur Abraham Malina est un membre éminent. Ce dernier met à leur disposition une salle de l’hôpital européen où ils installent leur laboratoire, au plus près de la maladie qui chaque jour fait de plus en plus de victimes. Pour la belle Este Malina, la fille du médecin juif réputé, au tempérament exalté et rêveur, la mission Pasteur offre un moyen de fuir ses obligations envers des prétendants fortunés trop assidus. D’abord déconcertée par le pragmatisme des chercheurs français, Este est insensiblement attirée par le laboratoire où ces trois hommes recherchent avec ténacité un coupable, se familiarisant avec leur jargon, et se passionnant pour les micro-organismes que révèlent les microscopes, comme autant de secrets d’un monde invisible et inconnu. Mais la population alexandrine se méfie de ces savants enfermés tout le jour avec des animaux chez lesquels ils s’efforcent de reproduire la maladie, et leur est vraiment hostile quand ils osent toucher aux morts en s’appropriant les cadavres pour les besoins des autopsies. Outre leur impuissance à sauver des vies, les chercheurs offensent croyances et superstitions qui prétendent que le choléra est la manifestation d’une colère divine. Sous la plume d’Anne Roiphe, le bacille devient un personnage fuyant, passager clandestin arrivé par bateau, souillant l’eau du port dont la ville est environnée, les flaques dans les rues, les liquides croupis dans les cours, et dont personne ne soupçonne qu’il est la source des contaminations. On le voit ramper sournoisement sur les gages d’amour qu’on embrasse avec passion comme sur les fruits succulents qu’on déguste. C’est un tueur en série impitoyable qui s’attaque indifféremment aux riches et aux pauvres, se propage dans les intestins des hommes, de leurs femmes et de leurs enfants, sans distinction de classe, de religion ni d’origine, faisant de tous des frères liés par un même germe.
Les Eaux de la colère prend ainsi des allures de roman policier dont les enquêteurs sont les chercheurs travaillant dans la clandestinité de leur époque, où la science était une aventure et les médecins des héros. Intrigues parallèles et rebondissements tiennent le lecteur en haleine, entraîné par un germe en forme de virgule dans les égouts de la ville orientale aussi bien que dans ses salons, dont les parfums capiteux tournent la tête des opportunistes. L’histoire d’amour naissant au-dessus d’un microscope nous transporte, et on se prend à imaginer Este en Marie Curie avant l’heure.

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