AlietteArmelleTesta

Aliette Armel, La vie en livres, L’Obs

Erri de Luca est un des plus grands écrivains du moment. Gianmaria Testa est un chanteur tout aussi engagé que son ami pour la cause des exclus et des migrants. Ni l’un ni l’autre n’ont oublié d’où ils viennent. L’un, le napolitain, a passé ses jeunes années à l’usine et dans les combats ouvriers de Lotta Continua, l’autre, le piémontais, « enfant, a pu encore apprendre à semer le blé à la main » auprès de parents paysans et il a été vingt-cinq ans chef de gare.

 

En 2019, leurs livres écrits au « je » – mais pour parler beaucoup des autres – traduits par Danièle Valin, paraissent en France, l’un (celui de Gianmaria Testa) préfacé par l’autre : Erri de Luca rend ainsi hommage à l’ami disparu en 2016. De ce côté-ci de la mer est en effet un recueil posthume de textes et de chansons, écrits au seuil de la mort par Gianmaria Testa pour affirmer, encore et encore, la foi qu’il partage avec Erri de Luca dans l’humanité, dans le pouvoir de la résistance, et dans l’étincelle des mots « qui libèrent de l’enthousiasme quand on trouve les bons ».

Les mots de Gianmaria Testa brillent de cette parfaite justesse. Ils provoquent l’émotion par l’évocation du geste ancestral des semeurs de blé. Ils suscitent l’identification des nantis que nous sommes à la réaction instinctive de protection d’un conducteur de voiture face à « l’intrusion » de mains tendues à travers la vitre de sa portière : celle d’une jeune prostituée noire ou d’un laveur de vitres à un feu rouge. Les chansons de Gianmaria Testa explorent, poétiquement, les grandes questions de notre monde contemporain – comme les drames des migrations – mais aussi les doutes et les réflexions qu’elles suscitent.

 

Dans le livre proposé par les éditions du Sonneur, les courts textes du chanteur précèdent la transcription de chacun des titres de l’album Da questa parte del mare (De ce côté-ci de la mer, Harmonia mundi, 2006). Ils font revivre les circonstances de leur écriture, les figures et les situations qui ont inspiré ces chants de l’exil, évocateurs de la lutte de ces hommes et de ces femmes meurtris pour ne pas perdre jusqu’à leur nom. Et en creux, se dessine le portrait d’un homme, Gianmaria Testa, alors en quête de sa propre survie, mais qui ne renonce pas à proclamer « Ce que la vie signifie pour » lui, magnifique titre de la collection développée au Sonneur par Martine Laval, qui accompagne, de longue date, le parcours de Gianmaria Testa et d’Erri de Luca.

Chez Gallimard, dans Le Tour de l’oie, Erri de Luca creuse, lui aussi, le thème d’un retour sur ce qui donne sens à sa vie depuis 69 ans : la langue, la lecture, l’écriture, la traduction de la Bible sans jamais croire en un Dieu, l’engagement politique contre l’exploitation de l’homme par l’homme, contre les guerres, contre la destruction de l’environnement, mais aussi l’expérience à la fois étrange et si commune d’habiter son corps comme s’il était « indépendant de soi » et de le pousser au-delà de ses limites dans les travaux ouvriers les plus rudes, la pratique de l’alpinisme et du jeûne. La maladie – un arrêt cardiaque – l’a laissé à la porte de la mort, mais il ne l’a pas franchie. Il poursuit son exploration autobiographique dans un dialogue avec un fils, certes imaginaire, mais dont il décrit l’apparition comme une fugace lumière perçue par son cerveau et la disparition comme une fusion, un retour à l’intérieur de son corps qui ne l’a pas engendré…

Pour les deux amis, Erri et Gianmaria, la porte demeure toujours ouverte, vers le fils que l’un n’a pas eu, vers des regards persistants à traverser un temps que l’autre ne parcourt plus de la même manière. Les mots, la musique, les actes posés au-dessus du vide demeurent. Leurs livres en sont des traces puissantes : découvrez-les !

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