Alexis Jenni, Revue Études
Une part de l’activité des éditions du Sonneur est d’exhumer des textes surprenants ; et l’on découvre de petits trésors dont il aurait été bien dommage qu’ils restent dans l’oubli. De Vladimir Maïakovski (1893-1930), poète futuriste et soviétique, on connaissait de longs poèmes agités, des lettres d’amour, des affiches de propagande poétique et, là, on découvre une étrangeté : Ma découverte de l’Amérique, un certain nombre d’articles publiés dans les journaux russes après un voyage fait en 1926. Maïakovski en Amérique, c’est entre le Henri Michaux d’Ecuador (Gallimard, 1929), et Tintin reporter première période, c’est tout à la fois le curieux, le poète, le naïf enthousiaste. Il traverse l’Atlantique, le Mexique, va à New York et Chicago… Il veut tout voir et tout comprendre. Par son talent de poète, il raconte ses découvertes et ses émerveillements d’une écriture vive et drôle, pleine d’aphorismes loufoques et de ruptures de ton. Comme un Tintin qui, par ailleurs, aurait été communiste, il se pose en défenseur des pauvres, des ouvriers, dénichant tout indice d’une conscience révolutionnaire à l’œuvre dans ce pays « qui deviendra un pays de finance », dit-il. Hélas pour lui, il ne trouve pas grand-chose. Les journaux communistes, hors le Daily Worker de Chicago, sont yiddish, russe ou finlandais. Dans ces pages vigoureuses et colorées comme une affiche d’Agitprop, il dépeint une Amérique inégalitaire, violente, monstrueuse de gigantisme et de précipitation, moralisatrice et corrompue, en pleine évolution accélérée, ne laissant guère de place à l’homme, au collectif, peut-être même à la vie. Et il retourne avec soulagement en Europe, apprécie le minutieux jardin de la campagne française qu’il traverse à son retour, où il n’aura croisé qu’une seule automobile.