Agnès Mannooretonil, Revue Études

Agnès Mannooretonil, Revue Études

Prix Goncourt de la nouvelle en 2014 pour Vie de monsieur Leguat, Nicolas Cavaillès confirme un talent rare dans l’écriture qu’on dit brève. Tentons de dire mieux : c’est une éblouissante pièce d’orfèvrerie stylistique, ciselée comme les œuvres d’un moraliste de l’âge classique (saisissante acuité dans l’analyse des passions) et qui nous fait saigner le cœur en épinglant comme des papillons rares les drames intimes (et réels) des huit enfants du compositeur Robert Schumann. « Tombeaux » romantiques, évidemment, où le tourment a du panache, où même la mort a du rythme, fauchant comme un chef d’orchestre fou ces pauvres êtres maudits dès leur naissance par la folie et la musique « nocive et hallucinogène » de leur père. Amis de la musique, tremblez avec eux : le destin s’acharne, patiemment, avec un certain goût pour la variété, mais avec une constance qui arrache des sourires suspendus d’incrédulité, face aux maladies, aux angoisses, aux « mille souffrances » de l’enfance, et surtout face à « la mère », Clara – formidable, effrayante figure qui prospère sur l’envers de la maternité généreuse, briseuse de rêves, mais pianiste fabuleuse. On frémit à l’idée que, sans Cavaillès, la fratrie n’eût jamais pu jouer, même post mortem, l’ultime symphonie d’une famille qui ne fut, en fait, jamais unie. Le récit les embrasse en effet dans le grand élan consolateur d’une profonde sympathie – comment s’en étonner, de la part d’un écrivain qui sut même nous révéler le cœur mystique des baleines (Pourquoi le saut des baleines, 2015) ? La littérature de l’enfance meurtrie s’enrichit d’un trésor ; et le paradis, peut-être, de quelques âmes apaisées… À lire, séance tenante.

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