Agnès Mannooretonil, Études
Petit format et petit prix : voici un livre fait pour les poches et les sacoches. Il y pèsera le poids exact des lettres qu’Arlette Farge écrit au gré des jours, comme autant de réponses à « ce que la vie signifie » pour elle. Lettres, cartes et petits mots adressés à des proches et à quelques plus lointains, c’est à l’intime et au lié du genre épistolaire que l’historienne confie cette déclaration. Elle s’élabore dans la relation à l’autre et dans l’acceptation de soi, s’éprouve sans cesse selon les circonstances : les humeurs du chat de la maison, la question d’un enfant, la vue familière des bibelots sur l’étagère, un paysage breton ou parisien, la couleur du ciel, un drame dans l’actualité, l’impression durable d’un film dans le cœur. Vie profuse, complexe, délicate, à laquelle convient bien le caractère fragmentaire d’une correspondance. Mais la voix est bien une et unifiante, comme l’est le métier d’historien tel qu’il apparaît dans cette profession de foi. En s’élevant contre une histoire figée, dominatrice, celle des dates et des grands hommes, Arlette Farge définit sa mission comme la fabrique prudente du lien entre des vies singulières et, sans idéologie mais avec une compassion véritable, comme la défense des « vies minuscules » et silencieuses. La magnifique lettre à Barnabé, « rencontré » dans les archives de la police en 1763, évoque avec une émotion intacte la naissance de cette vocation. Cette confidence et les autres, l’élégance avec laquelle l’auteure réconcilie l’authentique et le fictif, l’élévation de la pensée vous laissent avec le plaisir d’avoir été, le temps d’une lettre, l’ami d’Arlette Farge.