Sébastien Omont, En attendant Nadeau

Sébastien Omont, En attendant Nadeau

Dans ce dense récit autobiographique, Jérôme Lafargue décrit les quelques arpents de forêt landaise où sa relation à son père s’est nouée et dénouée définitivement. Ce territoire est aussi celui qu’il a littérairement investi en faisant s’y dérouler ses romans Dans les ombres sylvestres (2009) et En territoire Auriaba (2015). Un souffle sauvage se concentre autour d’un chemin rectiligne, parcouru en allers-retours tendus par l’écrivain à différents âges, son père et leur chien, « trait d’union » entre eux deux. Ce chemin, aussi réel que symbolique, monte avant de redescendre dans le « Profond », endroit « où l’on s’égare, où le sentiment de vastitude envoie paître la rationalité de la forêt, rendant son organisation futile, parce qu’ici les arbres y reprennent leurs droits et ricanent de concert quand de petits bonshommes se risquent dans leur territoire ».

Si l’étendue est infime par rapport aux grands espaces de Pas d’éclairs sans tonnerre, le sentiment d’absurdité est le même. Cependant, contrairement aux pistes innombrables qui ne cessent de se croiser dans la Prairie et sur lesquelles Donald hésite, on avance ici sur un chemin court et droit. Sa valeur est claire, son sens resserré. Quand il avait quatorze ans, Jérôme Lafargue y a sauvé son père, laissant derrière lui l’impuissance de l’enfance. Le récit de son lien à ce territoire particulier devient donc, pour plusieurs raisons, une histoire de transmission : le père y a abandonné sa force à son fils après avoir choisi cet endroit pour vivre, mais il lui a aussi involontairement procuré quelque chose à raconter. Sans compter qu’il lui a offert Martin Eden, donnant « une inflexion décisive à [s]a vie ».

À partir de cette question du passage, Un souffle sauvage est également un autoportrait, brossé en quelques traits fortement marqués, où tout revient à cette forêt. Outre ses rapports à ses parents, son goût pour les arbres, les paysages et la solitude, l’auteur évoque une époque, les années quatre-vingt, à travers la petite ville de bord de mer qui l’été accueilla les convulsions, les débordements et les futilités du temps. Et il affirme sa détermination à écrire : raconter l’histoire de sa famille – que ce soit par le roman ou l’autobiographie –, faire le récit de ses relations difficiles avec un père simultanément autoritaire et dépressif, c’est donner du sens, et donc lutter contre ce qui a terrassé ce dernier : le sentiment de l’absurdité de l’existence.

Inscriptions parallèles du temps et d’un personnage dans l’espace, soubresauts de l’adolescence, sentiment d’incohérence entre soi et le monde : ces deux écrivains abordent les mêmes thèmes sous des formes presque opposées. À la calme précision, à l’humour sous-jacent et aux méandres d’une destinée hésitante chez Jérémie Gindre répondent les soixante pages de Jérôme Lafargue, leur brièveté brûlante, l’explosion d’un événement irradiant toute une vie. On pourrait croire qu’on descend une rivière chez l’un, tandis qu’on assiste à un feu de forêt en lisant l’autre. Encore qu’il y ait des flammes dans Pas d’éclairs sans tonnerre et de l’eau stagnante dans Un souffle sauvage.

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